MECHMECH: Ils sont tombés amoureux en luttant pour réclamer la vérité sur la terrible explosion de Beyrouth en 2020, dans laquelle l'un a perdu son frère, l'autre sa soeur. William Noun et Maria Farès se marient bientôt, et promettent de poursuivre leur combat.
Le 4 août 2020, Joe Noun, un pompier, et Sahar Fares, une secouriste, avaient été tués avec huit autres pompiers en tentant d'éteindre l'incendie qui avait précédé l'énorme explosion au port de Beyrouth.
Ils avaient été envoyés à une mort certaine, les responsables libanais étant parfaitement au courant de l'existence, dans un entrepôt, d'une énorme quantité de nitrate d'ammonium à l'origine du drame.
La déflagration, l'une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire, avait fait plus de 220 morts, plus de 6.500 blessés, et défiguré la capitale libanaise.
Trois ans plus tard, les proches des victimes n'ont toujours pas obtenu justice: les autorités libanaises ont entravé l'enquête locale et refusé une enquête internationale.
Les familles des victimes qui ont formé un collectif, dont William Noun est devenu une figure emblématique, ont même été menacées.
Dans la maison familiale du paisible village de montagne de Mechmech, au nord-est de Beyrouth, où William tient un restaurant avec ses parents, il reconnaît que leur mariage "ne sera pas comme les autres".
"Beaucoup de gens ont perdu leur frère ou leur soeur. Mais nous, nous ne savons pas pourquoi ils sont morts, et en plus ils sont morts ensemble", dit le jeune homme brun au sourire franc.
"Nous voulons fonder une famille, et c'est un lien très beau et triste en même temps (...). Nous voulons prouver que nous avons la volonté de vivre malgré tout ce qui nous est arrivé".
« La même douleur »
Maria, assise à ses côtés, peine à retenir ses larmes à l'idée que ni sa soeur Sahar, qui était fiancée lors du drame, ni le frère de William, n'assisteront à leur mariage.
"Nous réfléchissons à un moyen de garder leur présence avec nous, par des photos ou des fleurs", dit la douce jeune femme, employée dans une compagnie privée.
William et Maria, tous deux âgés de 28 ans, ont fait connaissance lors d'une séance de thérapie organisée pour les familles des pompiers et secouristes tués dans l'explosion.
William, qui s'est fait tatouer sur le bras la photo de son frère aîné, avoue qu'il n'aurait jamais pensé qu'il se marierait après le drame vécu par sa famille. Mais il a trouvé en Maria une personne avec laquelle il partage "la même douleur et la même cause".
"Le combat pour la justice est plus dur que l'explosion elle-même", confie-t-il. "Nous voulons savoir ce qui s'est passé le 4 août".
Le jeune homme, qui mène les manifestations régulières des proches des victimes, s'est fait connaître par son franc-parler, dénonçant sans prendre de gants l'incurie des dirigeants libanais et leur corruption.
Il a été brièvement arrêté pour avoir lancé des pierres sur le palais de justice pour protester contre l'interruption de l'enquête.
Le juge indépendant Tarek Bitar a été contraint de suspendre une première fois son enquête pendant 13 mois, en raison d'une quarantaine de poursuites à son encontre de la part de responsables politiques et d'intenses pressions.
En janvier dernier, il a repris son travail, mais a été poursuivi pour insubordination par le procureur général après avoir inculpé plusieurs personnalités de haut rang, une première dans l'histoire du Liban.
Depuis, l'affaire a été reléguée aux oubliettes.
« Déterminés »
"Nous sommes déterminés à parvenir à la vérité (...), nous en avons fait le serment et notre détermination sera renforcée avec notre mariage. Mais en même temps, nous tenterons de garder notre vie privée à l'écart de l'enquête", assure William.
Dans une petite chapelle construite par sa famille dans leur village pour maintenir le souvenir de Joe, où sont exposées les photos du jeune homme tué et son uniforme de pompier, les futurs mariés allument chacun un cierge pour que justice soit faite.
Un vœu difficile à réaliser dans un pays où règne la culture de l'impunité et où les politiciens ne respectent pas l'indépendance de la justice.
"Nous avons espoir (...), mais nous faisons face à des gens enracinés dans le pouvoir, qui ont l'argent, les armes, les soldats et contrôlent les trois-quarts du secteur judiciaire", dit William.
Maria, elle, se dit convaincue de "parvenir un jour à la vérité". "J'ai toujours cru que la rédemption du Liban viendrait du sang versé par ma soeur et les autres jeunes, malgré les obstacles auxquels nous faisons face, même si cela prendra du temps".