DRANCY: Il y a 80 ans, plusieurs sites, des camps d'internement aux gares, ont servi aux portes de Paris à organiser la déportation des Juifs et résistants de France. Grâce à leur réhabilitation progressive, un riche et poignant parcours mémoriel s'esquisse dans le département de Seine-Saint-Denis.
"La Déportation est rarement traitée comme un temps en tant que tel. C'est d'abord un déplacement de populations qui ne savent pas où elles vont. Cette violence-là est souvent oubliée", explique Adèle Purlich, directrice de l'ancienne gare de déportation de Bobigny, dont ont été déportés 22 500 Juifs de juillet 1943 à août 1944.
Mardi, le site - géré par la ville de Bobigny - sera officiellement inauguré.
Sur ce vaste terrain de trois hectares et demi, des stèles cuivrées, une pour chaque convoi parti de France, ont été érigées, suivant la numérotation de l'historien Serge Klarsfeld. Y sont inscrits la gare de départ, le camp d'arrivée puis plusieurs nombres: déportés, enfants, ceux gazés immédiatement à leur arrivée, rescapés.
Cette ancienne gare, où subsistent rails et pavés d'origine, est habitée par le vide. "On a voulu donner une place à cette absence de tous ceux qui ne sont pas revenus", décrypte Adèle Purlich.
En treize mois, 21 convois de 1 000 Juifs en moyenne ont quitté cette gare, qui a succédé à celle du Bourget, où l'ancien quai de départ a été détruit.
Ces hommes, femmes et enfants, étaient acheminés par autocar depuis le camp d'internement de Drancy, situé à deux kilomètres.
Etabli dans la Cité de la Muette, c'était le principal lieu d'internement des Juifs de France. Entre 70 000 et 80 000 Juifs y sont passés, l'immense majorité déportée et assassinée à Auschwitz-Birkenau.
"Ce n'est pas une histoire hors-sol, les Juifs qui ont été internés ici, ils venaient certes des quatre coins de la France mais ils venaient aussi de la région parisienne, ils venaient de Paris", explique Olivier Lalieu, responsable de l'aménagement des lieux de mémoire au Mémorial de la Shoah, dans l'enceinte de Drancy.
Discrètement dressé en face de la Cité de la Muette, aujourd'hui du logement social, le mémorial accueille chaque année 30 000 visiteurs.
"C'est une page de notre histoire commune qui s'est jouée il y a 80 ans", rappelle Olivier Lalieu. "Il y a tout un travail qui doit être renforcé pour incarner cette histoire".
Mise en réseau
"Il y a une méconnaissance historique de ces lieux de mémoire qu'il faut réhabiliter entièrement et donner à voir", confirme Dominique Dellac, vice-présidente du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis chargée du patrimoine culturel et de la mémoire.
En octobre, une convention tripartite entre le département, le Mémorial de la Shoah et le Musée de la Résistance nationale sera signée, car outre ces lieux emblématiques de la Shoah, c'est aussi l'histoire de la répression de la Résistance qui s'est écrite en Seine-Saint-Denis.
Sur la commune des Lilas, le Fort de Romainville était "le premier camp allemand installé en France occupée. Il est en fonction jusqu'à l'été 1944, jusqu'aux premières heures de la libération de Paris", relate Thomas Fontaine, directeur du Musée de la Résistance nationale.
Dans ce lieu "au cœur du dispositif allemand de répression et de déportation" seront d'abord internés des étrangers, puis des otages fusillés au Mont Valérien et, à partir de 1944, exclusivement des femmes.
En 2028, il espère y inaugurer un Mémorial national des femmes en Résistance, "une première en France". Dans l'une des casemates, des graffitis d'époque, témoins des passages des internés, sont en train d'être restaurés.
En Seine-Saint-Denis, "nous disposons d'un patrimoine mémoriel de bâtiments qui restent les derniers témoins de ce qui s'est passé sur notre territoire et qui rejoignent à la fois l'histoire nationale et internationale", assure Dominique Dellac, évoquant aussi le "quai aux Bestiaux" de Pantin utilisé pour la déportation.
L'enjeu est désormais la mise en place de parcours pédagogiques mémoriels, pour mettre en valeur l'interconnexion de ces sites utilisés par le régime nazi pour déporter Juifs et résistants.
"La mise en réseau va permettre de témoigner de la spécificité de ces histoires différentes mais aussi de leurs convergences", affirme Dominique Dellac. "Ça complexifie le regard mais ça permet de mieux comprendre ce que fut le nazisme".