AIX-EN-PROVENCE, France : «Si on exclut les impôts et la dette, comment on fait?» Comme Katheline Schubert, plusieurs économistes ont profité des Rencontres d'Aix-en-Provence pour relancer la réflexion autour du financement de la transition écologique, un débat clos à leur sens trop vite par le gouvernement.
C'était à la fin du mois de mai. L'économiste Jean Pisani-Ferry et l'inspectrice générale des finances Selma Mahfouz remettent au gouvernement un rapport très attendu sur le coût de la transition écologique et sur les moyens de la financer.
Leur conclusion: environ 66 milliards d'euros d'investissements supplémentaires sont nécessaires chaque année jusqu'en 2030, dont 34 milliards d'argent public.
Quelques heures plus tard, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire ferme le ban. «Les deux options qui ne sont pas de bonnes options à mon sens, c'est l'augmentation des impôts ou de notre dette, déjà trop élevée», martèle-t-il.
«C’était au moment des discussions avec l'agence S&P sur la notation financière de la France», rappelle à l'AFP Patrice Geoffron, membre du Cercle des économistes.
Si la France a finalement échappé à la dégradation de sa note de crédit, son endettement a entre-temps franchi les 3.000 milliards d'euros, d'où la réticence persistante du gouvernement à contracter des dizaines de milliards de nouveaux emprunts.
«N’ayons pas cette paresse intellectuelle de l’augmentation systématique des impôts et des taxes, ça n’est pas la solution», a redit Bruno Le Maire samedi à Aix.
Sauf qu'«il n’y a pas de miracle» pour trouver les 34 milliards d'argent public, avertit Katheline Schubert, membre du Cercle des économistes et du Haut Conseil pour le climat.
«Si on exclut les impôts et la dette, comment on fait?» s'interroge-t-elle auprès de l'AFP.
L'économiste plaide pour «rendre les énergies fossiles plus chères par la taxe». Mais la piste est «impopulaire» en France depuis le traumatisme des «gilets jaunes», ce mouvement de révolte qui avait démarré en 2018 en réaction à l'augmentation de la taxe carbone par le gouvernement.
- Problème de bouclage -
«On est à un moment pivot sur la question climatique», juge Philippe Martin, doyen de l'école d'affaires publiques de Sciences Po.
«Il y a quelques mois, on disait que le gouvernement en France n’en faisait pas assez sur le climat. Aujourd'hui, dans une certaine mesure il y a un changement de ton, où on dit qu’on en fait trop, qu'on va trop vite, à un moment où les taxes et réglementations sont plus mal vécues d’un point de vue social», analyse cet ancien conseiller d'Emmanuel Macron.
En annonçant samedi consacrer 7 milliards de plus en 2024 qu'en 2023 à la transition écologique, soit environ 32 milliards au total, le gouvernement a d'ailleurs immédiatement pris soin de préciser que ces ressources ne proviendraient pas de l'impôt mais des économies réalisées sur d'autres postes de dépenses de l'Etat.
Avec «la politique menée actuellement de chercher dans les économies budgétaires les fonds dont on a besoin (...) on risque d’avoir un problème de bouclage» financier, s'alarmait quelques jours avant les Rencontres d'Aix Léa Falco, membre du collectif d'étudiants et jeunes diplômés Pour un réveil écologique.
En d'autres termes, la politique du rabot ne suffira pas à trouver les fonds nécessaires.
Petite consolation, la France n'est pas la seule à chercher la formule magique, concède Katheline Schubert.
En dehors des Etats-Unis qui ont résolument opté pour des subventions massives, en partie financées par des hausses d'impôts, «les autres pays sont assez tâtonnants», assure-t-elle.
Exception dans le paysage, la Suède a choisi la fiscalité et a «très nettement décidé de financer par la taxe carbone» ses investissements dans la transition.
Entre dette, impôt voire mobilisation de l'abondante épargne des ménages, la France devra vite trancher. Car le rapport Pisani-Ferry/Mahfouz le rappelait sans équivoque: en matière de transition écologique, «le coût économique de l'inaction excède de loin celui de l'action.»