TAMASSIT: Tablier blanc et calotte sur la tête, Rachid Ibersiene, s'affaire entre les cuves de pasteurisation. Cet ancien ingénieur en Suisse est revenu dans son Algérie natale avec un nouveau métier inhabituel: producteur artisanal de fromage.
"Nous avons commencé avec une bouteille de gaz butane et un réchaud", explique-t-il, en montrant fièrement, dix ans plus tard, sa fabrique, entourée d'arbres fruitiers dans un champ verdoyant, près du village kabyle de Tamassit, à 160 kilomètres à l'est d'Alger.
Né dans un quartier populaire de la banlieue d'Alger, Rachid Ibersiene, 57 ans, a fait des études en hydrocarbures, mais faute de trouver un emploi correspondant à ses qualifications, il tente sa chance en Italie dans un tout autre domaine, le cinéma.
"J'ai tenté une carrière de metteur en scène à Rome, au début des années 1990, mais j'y ai vite renoncé, le cinéma italien étant alors en déclin", raconte à l'AFP Rachid Ibersiene.
Chalets d'alpage en Gruyère
Il s'installe ensuite en Suisse où il restera 16 ans. Après une formation en multimédia, il décroche un emploi de conseiller informatique, spécialisé en vidéo numérique, avec un salaire confortable.
"C'est là qu'est né le projet de fromagerie. Pour décompresser, les week-ends, je montais dans les chalets d'alpage en Gruyère (près de Fribourg, ndlr) où sont implantés de nombreuses fromageries", se souvient-il.
En 2003, il y élit domicile pendant deux ans pour apprendre les rudiments de la fabrication des fromages helvètes "auprès d'amis fromagers".
Trois ans plus tard, il rentre au bercail, sur les terres familiales de Tamassit au pied du mont Tamgout, en Kabylie, pour lancer sa fromagerie.
En raison de difficultés d'accès aux financements, M. Ibersiene utilise toutes ses économies pour financer son projet, soit un investissement de 10 millions de dinars (plus de 67.000 euros) dans des équipements acquis majoritairement en Algérie.
"Les premières meules sont sorties en 2010. Nous nous sommes inspirés du Vacherin Fribourgeois, en adaptant toute la méthodologie au lait algérien, qui est différent du lait suisse", explique M. Ibersiene.
«Plus nuancé»
"Le lait algérien est moins standardisé et un peu plus bio puisque les élevages sont plus petits et plus diversifiés. En Suisse on ne trouve pas des éleveurs avec deux ou trois vaches laitières donc notre fromage est d'un goût plus nuancé", ajoute-t-il.
"Depuis, les bénéfices ont été réinvestis systématiquement pour développer la fromagerie", dit M. Ibersiene, qui passe ses journées, entouré de cinq employés, à inspecter les caves où sont stockées les meules qu'il faut régulièrement frotter et retourner.
La durée de maturation du Tamgout, son fromage, "varie d'un mois à deux ans, selon le goût de la clientèle", précise-t-il.
En quelques années, Rachid Ibersiene et son Tamgout, mélange de gruyère et gouda dont il estime qu'il est un fromage "typiquement algérien", sont devenus les coqueluches des diplomates occidentaux en Algérie qui visitent sa fromagerie pour déguster son produit.
"Notre fromage est produit à base de lait de vache cru, sans aucun additif alimentaire. Il n'est pas traité. Nous utilisons des ferments lactiques naturels", précise-t-il.
50 kilos de fromage
Il se fait livrer entre 700 et 1.000 litres de lait de vache qui lui permettent de produire près de 50 kilos de fromage quotidiennement.
Au départ, le Tamgout, frappé de l'étiquette "une idée suisse, un fromage algérien", était vendu dans les hypermarchés mais des problèmes de recouvrement ont contraint M. Ibersiene à interrompre les livraisons.
Désormais, il n'est disponible que dans les magasins de produits du terroir ou dans les épiceries fines.
La fromagerie commence à devenir rentable à partir de 2018 lorsque le produit local, aidé par la baisse des importations, a pu se frayer une place sur le marché algérien.
Et même s'il gagnait mieux sa vie en Suisse, la fierté que lui procure le succès rencontré par son fromage n'a pas de prix pour Rachid Ibersiene.
"Des clients viennent de l'étranger pour en acheter directement ici", affirme-t-il, citant l'exemple récent d'un Algérien installé à New York. "J'ai demandé au client de m'envoyer une photo de la roue. C'est une fierté car nous sommes partis de rien".