MARSEILLE: "Nous vivons dans la peur, on ne compte plus les morts": face à la dure réalité des quartiers de Marseille gangrénés par le narcotrafic, Emmanuel Macron a annoncé lundi des mesures inédites contre "l'inégalité scolaire" et le risque de recrutement par les réseaux.
Répondant à quelque 300 habitants de ces quartiers sensibles, le président a annoncé que les enfants pourront y être scolarisés dès l'âge de deux ans et que les élèves sortiront plus tard le soir du collège.
Le chef de l'Etat, venu dévoiler jusqu'à mercredi l'Acte II de son plan "Marseille en grand" destiné à lutter contre la pauvreté et donner une nouvelle dynamique à la deuxième ville de France, a été rattrapé dès ses premiers échanges par les cris d'alarme sur l'insécurité croissante dans les cités.
"On est pris en otage, nous avons peur de sortir la nuit, tout le monde veut partir d'ici", a lancé une habitante du quartier de La Busserine.
"On n’en peut plus (..) Le seul objectif c’est de ne pas se prendre de balles", a renchéri une autre en s'adressant au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.
Dans une ambiance électrique et sans fard, le chef de l'Etat a concédé "le ras-le-bol" des habitants mais refusé de "laisser dire que rien n’a été fait" depuis qu'il a mis cinq milliards d'euros sur la table en 2021 pour aider la ville à guérir. "On ne va rien lâcher, rien !", a-t-il martelé.
Il a annoncé que les collèges allaient être progressivement ouverts de 08H à 18H minimum et la maternelle accessible dès deux ans dans les quartiers d'éducation prioritaire, à commencer par Marseille.
"L’inégalité scolaire se crée dans ces temps où l’enfant a été renvoyé chez lui", a souligné le président, qui a aussi évoqué l'idée d'avoir "moins d'élèves par classe en moyenne section de maternelle dans ces quartiers.
«Task force interministérielle»
Il a aussi annoncé des "aménagements" dès la prochaine rentrée pour faire en sorte que l'année scolaire ne se termine pas si tôt en terminale et plus de "retours" sur les dossiers, notamment les refus, sur Parcourssup.
Evoquant le plan Quartiers 2030, qui sera présenté vendredi par la Première ministre Elisabeth Borne, il a aussi promis d'aider "100.000 entrepreneurs" dans les quartiers et demandé à "5.000 entreprises" de s'engager à y recruter d'ici la fin de l’année.
Dès le début de sa visite lundi, Emmanuel Macron a ciblé les trafics de drogue qui endeuillent la ville - avec 23 morts depuis le début de l'année - et appelé à lutter aussi bien contre la consommation que la vente.
"On ne peut pas déplorer les enfants tués dans les quartiers, l'économie et la violence qui va avec les stupéfiants, et glorifier la consommation récréative de stupéfiants", a-t-il insisté.
Il a annoncé l'arrivée d'une quatrième compagnie de CRS, de 25 nouveaux enquêteurs à la division criminelle et la brigade de répression du banditisme, ou encore la création d'une "task force interministérielle pour lutter contre les caïds", associant douanes, fisc, police judiciaire, Urssaf.
Il a également annoncé que le paiement des amendes forfaitaires pour consommation de drogue pourrait désormais être "immédiat, par carte bancaire ou en liquide". Ce qui permettrait d'améliorer le taux de recouvrement, de seulement 35%, un niveau "inacceptable".
«Je suis morte à l'intérieur»
Dans la cité des Campanules, dans l'est de la ville, où la mobilisation des citoyens avait réussi à empêcher l'installation d'un point de deal en janvier, six mamans du collectif des familles de victimes d'homicides liés aux trafics de drogues lui ont raconté les drames qui les frappent.
"Monsieur le président, je suis face à vous mais je ne suis plus là. Je suis morte à l'intérieur", a lâché Anita en parlant de son fils de 21 ans.
A La Busserine, quelques manifestants avaient organisé une mini-casserolade, vite interrompue par l'important dispositif policier. Certains ont crié "Macron démission".
Mais le président a aussi été applaudi par des habitants aux fenêtres.
Devant la préfecture, loin de là, en raison du dispositif de sécurité quelque 200 manifestants ont protesté, à l'appel de plusieurs syndicats. "Son discours, on n'y croit pas une minute. Ce sont des opérations de communication", a estimé Serge Reynaud, co-secrétaire de l'union syndicale Solidaires 13.
Le chef de l'Etat, qui avait suscité la polémique en 2018 en déclarant à un jeune horticulteur en recherche d'emploi qu'il suffisait de "traverser la rue" pour trouver du travail, a réitéré sur le même thème, assurant à la mère d'un demandeur d'emploi qu'il y avait "10 offres" possibles pour son fils. Et de l'inviter à faire "le tour du Vieux port" lundi soir en sa compagnie pour illustrer son propos.
"Autrefois on disait 'le roi te touche, dieu te guérit' (...), avec Macron, c'est 'Macron te touche, tu trouves un emploi'", a ironisé le député LFI Eric Coquerel sur France info.