BOULOGNE-SUR-MER: Le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer a infligé vendredi des peines allant jusqu'à 18 mois de prison ferme à l'encontre de huit hommes accusés d'avoir formé "une milice" et passé à tabac des migrants à Calais début 2016.
Le tribunal est allé sur le total des peines au-delà des réquisitions du parquet, qui avait requis jusqu'à un an de prison ferme, pointant un "discours de haine, transformé en passages à l'acte violent".
Cagoulés, gantés, vêtus de noir, ces hommes, âgés de 26 à 51 ans, agressaient de nuit, selon l'enquête, des migrants isolés, généralement en lisière de la "Jungle". Le tribunal les a tous reconnus coupables de violences.
Ils molestaient leurs victimes à coups de barre de fer, de matraque ou de poing, avant de dérober leur argent et leurs téléphones portables.
La peine la plus lourde, de 36 mois de prison dont 18 avec sursis, a été prononcée à l'encontre de Johnny P., également reconnu coupable de "port d'arme", et considéré dans l'enquête comme le bras droit du "meneur" présumé du groupe, Christophe G.
Le cas de ce dernier a été disjoint, sa citation à comparaître ayant été délivrée hors délai.
Seuls cinq des huit prévenus, aux profils contrastés, étaient présents jeudi à l'audience.
«Craintes des migrants»
Trois autres ont été condamnés à deux ans de prison, dont un avec sursis, et un quatrième à six mois ferme et 18 mois de sursis, pour certains d'entre eux également reconnus coupables de participation à un groupement formé en vue d’une atteinte aux personnes.
Parmi eux, Jefferson G., 31 ans, a qualifié jeudi le meneur présumé de "gourou". Mains tremblantes sur son sweat-shirt noir à l'effigie du super-héros déjanté Deadpool, il a juré avoir été "manipulé".
Un autre, Arnaud L., âgé à l'époque de 19 ans, a expliqué s'être "laissé enrôler" par son beau-père Johnny P..
"J'avais une crainte des migrants à cause de ce qu’on voyait sur les médias, sur les réseaux sociaux", a-t-il lâché à la barre. Mais lors de l'agression du 21 janvier, "j'ai vu les violences, et j’ai été choqué. Ca a été un déclic".
Placé deux mois en détention provisoire, le jeune homme s'est engagé en 2020 au sein de la Société nationale de sauvetage en mer, participant à de nombreuses opérations de secours aux migrants dans la Manche, qui lui ont valu une médaille et les félicitations du préfet maritime.
"Je n'ai pas les mots pour expliquer à quel point je regrette maintenant", a-t-il réagi à la décision, s'affirmant "soulagé" que l'affaire se termine.
«Patriotique»
Aucun mandat de dépôt n'a été ordonné pour ces peines aménageables, assorties pour tous les prévenus de l'interdiction de détenir une arme soumise à autorisation pendant cinq ans.
Les trois autres prévenus ont été condamnés à des peines avec sursis, la plus lourde, de 18 mois, prononcée à l'encontre de Nino P. Âgé de 35 ans, T-shirt moulant sur muscles tatoués, ce dernier a assumé avoir rejoint ce "commando".
Sa réponse, quand le président lui a demandé s'il se sentait en "croisade": "Oui, pour moi, c’était ça. Je suis patriotique: la France, on ne nous l'enlèvera pas".
La bande a fait au moins six victimes, dont un adolescent et trois ressortissants syriens, molestés et détroussés le 21 janvier 2016 à Calais. Deux s'étaient vu décerner 10 jours d'ITT (incapacité totale de travail).
"Traumatisme crâno-facial, fracture de l’orbite, hémorragie méningée": la cour a souligné la violence des blessures infligées aux victimes.
Christophe G., rencontré dans des manifestations anti-migrants ou sur les réseaux sociaux, disait vouloir "défendre les habitants" proches de la "Jungle", peuplée alors de plusieurs milliers de migrants, a expliqué Jefferson G.
Selon l'enquête, l'homme, qui nie tout rôle d'organisateur, aurait d'abord proposé à ses complices de l'accompagner "prendre des photos" des "exactions" supposées des migrants, avant de suggérer la création d'une "garde calaisienne".
"Il voulait faire une milice", s'est souvenu jeudi le père de Jefferson, Stéphane G., 52 ans.