PARIS: Ils parlaient de s'en prendre aux dîners du CRIF, au rappeur Médine ou aux meetings de Jean-Luc Mélenchon. Quatre hommes de la mouvance néonazie seront jugés aux assises des mineurs à Paris à partir de lundi, soupçonnés de projets terroristes criminels entre 2017 et 2018.
Cette audience criminelle pour ces hommes aujourd'hui âgés de 22 à 28 ans constitue une première pour l'ultradroite. De précédents dossiers comme celui des Barjols ou du groupuscule OAS ont été jugés ces dernières années au tribunal correctionnel.
Comme l'un des mis en cause avait 17 ans au moment des faits, ils comparaîtront devant la cour d'assises des mineurs spéciale, jusqu'au 30 juin.
Le procès pourrait donc se tenir à huis-clos. Le président de la cour peut toutefois rendre les débats publics, si une demande est formulée en ce sens et s'il estime que cela ne nuirait ni aux intérêts de l'accusé, ni à l'ordre public.
Un cinquième protagoniste, un collégien de 14 ans lors des faits, a déjà été condamné par le tribunal pour enfants de Paris, statuant en matière criminelle, à deux ans d'emprisonnement avec sursis.
D'après l'accusation, les cinq jeunes hommes, imprégnés de l'idéologie "néonazie", participaient à un forum privé nommé "projet WaffenKraft" - "puissance de feu" -, créé par Julien (prénom modifié), 17 ans à l'époque.
Selon les juges, les discussions avaient "très rapidement dérivé vers l'élaboration de projets terroristes sous l'impulsion d'Alexandre Gilet", le "plus radical et plus motivé" du groupe.
"Je pense qu'il voulait faire pire que le Bataclan", dira un autre mis en cause.
"C'est caricatural de dire que c'était le leader", déplore l'avocate d'Alexandre Gilet, Fanny Vial, décrivant un jeune homme qui "reconnaît des propos violents qui n'auraient jamais dû exister" mais qui "n'a recruté personne, et a toujours dit qu'il n'allait pas passer à l'acte".
«Explosifs artisanaux»
Parmi les cibles évoquées: des mosquées, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et le siège de la Licra à Tours.
Mais aussi, selon un co-accusé, "le concert de Médine au Bataclan" (rappeur régulièrement accusé à droite et à l'extrême droite de complaisance envers l'islamisme) ou des "meetings de Jean-Luc Mélenchon".
Contrairement à d'autres cibles, "aucune recherche sur M. Mélenchon n'a été retrouvée dans les supports de M. Gilet", tempère une source proche du dossier.
Le fondateur de la France insoumise a annoncé vouloir se constituer partie civile à l'audience. L'avocate de la Licra a indiqué à l'AFP la même intention.
L'enquête a démarré par l'interpellation en septembre 2018 d'Alexandre Gilet, alors gendarme adjoint volontaire dans l'Isère, signalé après une commande de produits précurseurs d'engins explosifs.
A son domicile, les enquêteurs découvrent des armes "régulièrement détenues", dont deux kalachnikovs, de nombreuses munitions, un équipement de laboratoire et des produits permettant la fabrication d'explosifs.
"De nombreuses photographies et vidéos d'entraînement avec ses explosifs artisanaux et ses armes (...) notamment avec plusieurs personnes en forêt en juillet 2018" les mettent sur la piste des quatre autres participants à cette séance de tir.
Ils seront interpellés entre octobre 2018 et mai 2019: Julien, adolescent de la région de Tours au parcours scolaire émaillé d'incidents violents ; Gauthier Faucon, fils de militaire de 25 ans surnommé "Panzer"; Evandre Aubert, Ardéchois de 23 ans ; et le collégien de 14 ans.
Les magistrats antiterroristes seront saisis après la découverte des recherches internet d'Alexandre Gilet "sur ce qui s'apparentait à des cibles" ainsi que d'"un manifeste de passage à l'acte terroriste" rédigé "à la manière des tueurs de masse de l'ultra-droite", "détaillant notamment des fusillades ou des actions au camion-bélier".
Pendant son contrôle judiciaire, il continue ses entraînements en forêt et "entame une formation de conducteur de poids-lourd". Il est alors placé en détention provisoire, en décembre 2018.
Il voulait juste "gagner sa vie" après le non-renouvellement de son contrat de gendarme, estime Me Vial, balayant aussi le terme de "manifeste" pour ce texte: plutôt un "journal intime de la haine", "jamais diffusé et dont il a honte aujourd'hui".
Une dizaine de procédures en lien avec l'ultradroite ont été ouvertes ces dernières années au pôle antiterroriste de Paris. Une menace "prise très au sérieux" et qui "monte en puissance", selon un magistrat antiterroriste parisien.