PARIS: "La cuisine donne une place aux personnes exilées" dans la société et leur permet de "faire rayonner leur culture", affirme le chef mauritanien Harouna Sow, réfugié depuis dix ans en France, qui a ouvert son restaurant et travaille avec deux cantines sociales.
Lors de la 8ème édition du Refugee Food Festival, qui se tient jusqu'au 26 juin dans 13 villes en France et en Suisse, des chefs de restaurants gastronomiques ou de bistrots de quartier créent des plats à quatre mains avec des cuisiniers réfugiés, comme lui.
Parmi ces chefs, Michel Troisgros, trois étoiles au Guide Michelin, dont la famille s'est réfugiée en France pour fuir l'Italie mussolinienne, a participé au festival depuis 2018 parce que "c'est l'occasion d'être acteur du devoir d'hospitalité".
"Quand on cuisine par amour, les gens vont apprécier", estime Harouna Sow qui espère ouvrir en 2024, au Sénégal le long d'un fleuve, un restaurant-ferme coopérative où l'"on cultive, on apprend, on cuisine, on mange".
Arrivé en France en décembre 2012 après avoir grandi en Mauritanie où sa famille d'éleveurs peuls faisait l'objet de persécutions, puis vécu au Sénégal et au Mali, il est aujourd'hui à la tête de trois établissements, dont son restaurant parisien Waalo.
"C'est mon projet personnel : ça montre aux personnes que c'est possible, qu'il n'y a pas de projet inatteignable", dit-il à l'AFP. "Il n'y a pas d'ascenseur social, c'est un escalier et cet escalier, il faut le monter en travaillant dur", dit le jeune homme de 33 ans.
Les deux autres cuisines dans lesquelles il officie sont des lieux de restauration qui forment et accueillent des cuisinières et cuisiniers réfugiés, valorisant leurs héritages culinaires, comme la Cantine des Arbustes, une cantine solidaire qui a ouvert en septembre 2022 dans le 14ème arrondissement de Paris.
«Very Food Trip»
Poulet yassa, mafé végétarien, tagine de veau aux olives : les étudiants boursiers du quartier y dégustent gratuitement des plats parfumés d'Afrique de l'ouest - facturés 5,20 euros aux non boursiers, 10,40 euros au tarif normal -, préparés par des personnes réfugiées en insertion comme Bouba, Ndeye, Abir ou Abdallah, qui s'activent aux fourneaux en cette chaude matinée de juin.
"Il y a quatre plats fixes et deux qui changent, pour que chacun puisse donner son inspiration", explique Harouna Sow.
Refugee Food qui emploie aujourd'hui 57 personnes dont 18 en insertion, c'est aussi un traiteur et un organisme de formation qui accompagne l'insertion socio-professionnelle des personnes réfugiées, avec le soutien d'une quarantaine de partenaires: Ville de Paris, Restos du coeur, entreprises...
Depuis début 2020, 276 personnes ont suivi une formation qualifiante de commis de cuisine (cours de cuisine, de français, de compétences numériques, suivi professionnel...). Une formation d'agent de la restauration collective, aux horaires "plus compatibles avec la vie de famille", a été lancée en partenariat avec des géants du secteur comme Sodexo ou Compass.
Et une "pré-formation" pour les femmes souvent "hyper motivées pour intégrer le programme, mais sans solution de garde" pour leurs enfants verra le jour en octobre.
A l'origine de Refugee Food : Marine Mandrila, 34 ans, diplômée en communication du Celsa et son compagnon Louis Martin, 35 ans, formé à l'école de commerce ESCP, deux "passionnés de cuisine" qui avaient "la bougeotte", dit la jeune femme à l'AFP.
Après deux tours du monde culinaires où ils ont cuisiné et mangé chez l'habitant, donnant lieu au livre "Very Food Trip" (Editions La Martinière) et à une série de reportages TV éponyme sur Planète+, ils se sont lancés dans ce projet en 2015, "au moment de la première grosse crise migratoire syrienne", se souvient Marine Mandrila.
Grâce au remarquable levier d'insertion pour les réfugiés qu'est la cuisine, elle veut contribuer, "à son niveau", "à ce que des personnes puissent se reconstruire". "Parce que le déracinement est l'une des pires douleurs humaines", dit-elle.