Le succès des essais cliniques des vaccins contre la Covid-19 a non seulement apporté le soulagement nécessaire à un monde au bord d’une catastrophe majeure, mais il a aussi mis en évidence une préoccupation importante pour les experts en santé publique dans le monde.
Au moins 10 vaccins seront probablement approuvés d’ici début 2021, mais les pays les plus riches ont déjà commandé jusqu’à 5 milliards de doses pour leurs propres populations. Les États-Unis ont commandé à eux seuls plus d’un milliard de doses d’au moins 6 vaccins en développement, et le Royaume-Uni a conclu des accords pour fournir jusqu’à 5 doses par citoyen.
Un manque de transparence dans les accords entre sociétés pharmaceutiques et gouvernements puissants ne laisse guère de garantie au reste du monde, notamment aux pays les plus pauvres. Une incapacité à acquérir les vaccins et à conclure des accords pour les fabriquer localement limitera l’accès des pays à faibles revenus à environ 10 milliards de doses d’ici la fin de 2021. Seuls 4 des 10 fabricants de vaccins majeurs seront capables de produire de grandes quantités cette année, et la plupart de ces doses seront livrées aux pays qui ont placé leurs commandes en août, lorsque les vaccins étaient encore en développement.
La nature de la Covid-19 exige que des efforts soient mis en œuvre partout et de manière équitable afin d’éradique le virus efficacement dans le monde entier. L’unilatéralisme et le nationalisme lié aux vaccins fera plus de mal que de bien puisqu’il pourrait prolonger la pandémie, voire affaiblir tout impact positif des programmes intensifs de distribution de vaccins.
La mauvaise distribution des vaccins n’est pas un phénomène nouveau. On l'a vu en 2009 avec la grippe H1N1, lorsque les pays les plus riches ont stocké des vaccins, ce qui a prolongé la pandémie. Le H1N1 n’est rien comparé à l’impact dévastateur de la Covid-19, ce qui rend le stockage de vaccins inconcevable. L’hypocrisie d’appeler à un accès équitable au vaccin et à une distribution efficace ajoute l’insulte à l’injure.
D’un autre côté, il existe des initiatives telles que le dispositif COVAX basé à Genève et le Conseil de facilitation de l'Accélérateur ACT qui financent non seulement le développement de vaccins, mais qui aident aussi les pays les plus pauvres à obtenir des doses et à les distribuer en toute sécurité. Après tout, trouver un vaccin efficace n’est que la première étape ; la distribution efficace présente de nouveaux défis qui exigent une coordination considérable au plus haut niveau avec des organisations comme la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L’unilatéralisme et le nationalisme liés aux vaccins feront plus de mal que de bien puisqu’ils pourraient prolonger la pandémie, voire affaiblir tout impact positif des programmes intensifs de distribution de vaccins.
Hafed Al-Ghwell
Le manque d’infrastructure, problème qui oblige déjà la plupart des pays les plus pauvres à se tourner vers les soins palliatifs plutôt que les soins curatifs, surgira à nouveau lorsqu’il faudra livrer et stocker les vaccins. Certains nécessiteront des installations de réfrigération ; le vaccin Pfizer-BioNTech doit être conservé à -70 degrés Celsius. Ceci ne présage rien de bon pour les pays du Sud, en particulier ceux qui n’ont pas de capacité électrique fiable. Compter sur les générateurs ne fera qu’augmenter les coûts en termes de carburant et de maintenance, puisque des températures de stockage irrégulières risquent de rendre inutiles les vaccins à courte durée de conservation.
Il est donc crucial que les institutions collaboratives soient bien financées et gérées avec compétence. Cependant, ACT pense que ses efforts sont insuffisamment financés d’environ 35 milliards de dollars, tandis que le COVAX estime que les fabricants de vaccins auront besoin d’environ 18 milliards de dollars pour produire et livrer au moins 2 milliards de doses. Jusqu’à présent, les pays les plus riches n’ont manifesté leur intérêt que pour ces initiatives ; peu s’y sont engagés. Avec des économies en difficulté et des défis intérieurs croissants, il est peu probable que les pays les plus riches du monde intensifient leurs efforts pour alléger le fardeau financier de plusieurs milliards de dollars, malgré les avantages évidents pour tous.
Néanmoins, il existe d’autres solutions viables pour lutter contre l’accès non équitable aux vaccins. Les gouvernements du monde entier pourraient exiger que les développeurs de vaccins fassent homologuer leurs vaccins aux fabricants nationaux. Les règles de l’OMS permettent une telle homologation, et ceci a fonctionné pour le développement d’antirétroviraux génériques contre le VIH. Toutefois, l’homologation obligatoire des brevets de vaccins ne couvre pas les informations exclusives concernant le développement, les tests et l’approbation complexes des vaccins. Les sociétés pharmaceutiques rejetteraient probablement de telles mesures, et la majorité des gouvernements n’ont pas leur mot à dire, étant donné l’augmentation du nombre de cas de Covid-19 et du potentiel de perturbation économique.
Bien que l’homologation forcée soit un moyen d’augmenter la production et l’accès, la véritable menace à la distribution équitable des vaccins est le manque de collaboration entre les gouvernements pour trouver un financement adéquat et assurer la disponibilité des doses à des prix abordables dans le monde entier.
Si nous n’appliquons pas les leçons tirées de 2009, cela ne fera que prolonger la pandémie. De plus, même si, par miracle, les pays les plus pauvres pouvaient obtenir des doses et les distribuer, nous ne pouvons pas en dire autant des États fragiles et des zones de conflit. Ce problème pourrait être résolu par un effort international coordonné et bien financé pour obtenir des doses et superviser leur distribution aussi largement et sûrement que possible. Malheureusement, en raison de la récession mondiale qui exerce une pression à la baisse sur les fonds des donateurs, il est probable que la Covid-19 ne disparaîtra pas aussi facilement.
Après des mois de mauvaises nouvelles, cela vaut certainement la peine de célébrer la réussite des essais de vaccins et d’insuffler un peu d’optimisme dans cette période sombre. Cependant, la propagation du coronavirus a été facilitée par le fait que nous soyons très interconnectés, et aucune action nationaliste, unilatérale ou protectionniste ne peut empêcher les pires résultats de l’accès non équitable aux vaccins. Seuls les efforts pluralistes, multilatéraux et bien coordonnés garantiront une fin rapide à cette pandémie. Dans notre empressement à enterrer la Covid-19, nous ne devons pas créer de nouveaux défis avant de soigner les blessures causées par cette pandémie.
- Hafed al-Ghwell est chercheur associé non résident de l'Institut de politique étrangère de l'École des hautes études internationales de l'université John Hopkins. Il intervient également comme conseiller principal chez Maxwell Stamp, société internationale de conseil économique, et chez Oxford Analytica, société de conseil sur les risques géopolitiques. Membre du groupe international Strategic Advisory Solutions à Washington DC et ancien conseiller du Conseil d'administration de la Banque mondiale. Twitter : @HafedAlGhwell
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com