LONDRES: L'impact de la Covid-19 sur la gouvernance, le multilatéralisme et l'ordre mondial fondé sur des règles bien déterminées, a dominé l'ordre du jour de la première journée du 16e dialogue annuel de Manama à Bahreïn, organisé par l'Institut international des études stratégiques (IIES) installé au Royaume-Uni.
Bien que la conférence, qui se déroule du 4 au 6 décembre, explore les thèmes les plus importants du conflit et de la sécurité au Moyen-Orient, les implications stratégiques et géo-économiques de la pandémie Covid-19 ont, de façon prévisible, dominé les discussions de samedi.
« Cette année, nous avons été témoins d'un manque de coopération dans les affaires internationales », a révélé John Chipman, directeur général et chef de la direction de l'IIES, en inaugurant la conférence, qui se concentre cette année sur les thèmes de la guerre, du pouvoir et des règles.
« Nous basculons désormais dangereusement sur la charnière entre un ancien ordre fondé sur des règles qui semble mal entretenu à des fins contemporaines et un nouvel ordre qui doit encore être bien conçu et stratégiquement élaboré ».
En tête d'affiche de la séance de samedi matin, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhan, a qualifié l’année 2020 en tant qu’une date « sans précédent », avec « les défis causés par une pandémie qui laisse une marque durable à la fois sur la ténacité des États et la coopération multilatérale ».
2020 a été, en outre, une année de leçons positives, car « grâce à une action collective, nous avons montré comment la communauté internationale peut se rassembler en temps de crise », a-t-il ajouté.
Le prince Faisal a également donné un aperçu de « l'approche pangouvernementale » de Riyad dans le but de lutter contre la pandémie, y compris une allocation de 47 milliards de RS (12,53 milliards de dollars) pour renforcer le système de santé saoudien; l’investissement considérable dans les tests de dépistage de masse et les applications de traçage des contacts. Tout cela sans oublier les interventions économiques afin de réduire les taux d'intérêt, de protéger le financement du secteur privé et la liquidité bancaire ainsi qu’alléger la charge fiscale.
Il a, de plus, souligné le rôle exemplaire de l'Arabie saoudite grâce à sa présidence du forum international du G20, en mobilisant 11 milliards de dollars en vue de stimuler l’économie, tout en promettant plus de 21 milliards de dollars pour lutter contre la pandémie et en offrant un allégement de la dette aux pays en voie de développement pour un total de 14 milliards de dollars.
« Compte tenu des multiples perspectives d'un vaccin efficace, le Royaume cherche à travailler avec des partenaires internationaux en vue d’assurer une distribution équitable et rapide du vaccin dans le monde entier, et surtout dans les pays les plus nécessiteux », a-t-il assuré.
Appuyant le point de vue du prince Faisal, Kang Kyung-wha, ministre des Affaires étrangères de la Corée du Sud, a déterminé le besoin urgent d’une coopération plus étroite comme principale leçon de la pandémie du coronavirus.
« La gouvernance mondiale était déjà à un point grave lorsque la Covid-19 a frappé, la confiance dans le multilatéralisme et l'ordre international fondé sur des règles, a été déjà extrêmement sapé », a-t-elle avoué.
« La Covid-19 est en effet un modeste rappel de notre interdépendance et de notre vulnérabilité commune, qui a montré clairement l’importance capitale de la solidarité mondiale et de la coopération internationale ».
Kang a exhorté les pays à se soutenir mutuellement pour renforcer les moyens sanitaires d'urgence et garantir un accès équitable aux équipements, aux soins et aux vaccins.
Plus précisément, elle a évoqué la nécessité de renforcer le système mondial de la santé mis au point par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), d'améliorer les réglementations sanitaires et de motiver l'ONU pour rationaliser les efforts contre les futures pandémies.
Cela doit aller de pair avec une coopération économique allant des budgets expansionnistes et des plans de relance à la normalisation des mouvements transfrontaliers de personnes, a affirmé Kang.
Évoquant les sentiments de ses collègues panélistes, Miguel Berger, secrétaire d'État allemand au ministère fédéral des Affaires étrangères, a décrit la Covid-19 comme « la plus grande épreuve de notre génération » et « le défi le plus grave » pour le système multilatéral.
« L’évanouissement de la gouvernance mondiale a commencé avant même la crise de la Covid-19 », a-t-il déclaré. « La raison ne réside pas dans l’échec du multilatéralisme, mais dans notre manque de soutien à son égard ».
Berger s'est dit particulièrement fier du rôle de l'Allemagne dans la recherche d'un vaccin, saluant en mémé temps les réalisations de BioNTech, qui a travaillé aux côtés du géant pharmaceutique américain Pfizer afin de mettre en œuvre le premier vaccin autorisé au monde.
« L'espoir est que nous allons bientôt avoir des vaccins très efficaces disponibles comme une première étape très cruciale », a confirmé Berger. « Maintenant, nous devons organiser une distribution juste et uniforme. … Ce sera un test de poids, relatif à notre réflexion sur le multilatéralisme.
Berger a félicité l'Arabie saoudite « d'avoir mené les pays du G20 à travers cette crise très difficile avec un engagement légendaire et un leadership sans pareil ».
L’IISS
* Fournit des informations objectives sur les développements militaires, géopolitiques et géo-économiques qui pourraient conduire à des conflits.
« Le sommet de Riyad a pris des décisions très importantes afin de contrer les effets néfastes de cette crise », a-t-il affirmé, faisant référence à la conférence virtuelle des leaders qui s'est tenue le mois dernier.
L'une des questions les plus intéressantes qui a émergé au cours de la discussion a été l'hésitation généralisée entourant les candidats - vaccins, y compris au Moyen-Orient, ce qui justifie potentiellement la vaccination obligatoire.
« Je crois personnellement qu'il est toujours préférable de donner le choix aux gens, mais il faut ensuite présenter les faits et les preuves qui, enfin, rendent possible ce choix », a expliqué Kang, soulignant le rôle primordial de la confiance dans la gestion des crises.
Faisant référence au phénomène de mélange et de dispersion des faits, des rumeurs et des craintes, il a signalé: « Les désinformations sont beaucoup plus dangereuses que les pandémies. Parce que dans la désinformation, quand vous perdez l'importance des faits et des preuves, vous n'avez aucun point d’orientation pour décider dans quelle direction aller ».
« Les fausses nouvelles, la désinformation, la propagande… sont quelque chose dont les leaders responsables ont vraiment besoin afin de nous aider à bien se concentrer ».
Kang a ajouté qu'avec des gens tellement enveloppés « dans leurs propres univers et mal renseignés », il devient très difficile de parvenir à un consensus.
Le dialogue de Manama se déroule dans un contexte non seulement de pandémie, mais aussi de changements tectoniques dans le pouvoir et l'équilibre diplomatique du Moyen-Orient et dans la perspective de changements importants, en particulier avec l’arrivée du démocrate Joe Biden aux rênes de la Maison Blanche.
Au centre de ces changements se trouvent les accords d'Abraham qui ont finalisé la normalisation des relations entre les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan avec Israël en septembre – pour ainsi être les trois pays arabes à le faire depuis l'Égypte et la Jordanie, des décennies plus tôt. Cela a certainement, à son tour, donné un nouvel élan au règlement du conflit israélo-palestinien.
Par rapport à la Palestine et Israël et la possibilité de rejoindre à un moment donné les Accords d'Abraham », le prince Faisal a assuré dans ses observations, que « pour l'Arabie saoudite, il est essentiel de ramener les Israéliens et les Palestiniens à la table des négociations. C’est le seul moyen d’instaurer une paix régionale durable ».
Les délégués sont aussi curieux de savoir comment Joe Biden, l'un des architectes du Plan d'action global conjoint (PAGC) de l'ère Obama, gèrerait réellement les relations futures avec l'Iran.
L'administration Trump a poursuivi une campagne de « pression intense » pour forcer l'Iran à abandonner ses programmes de missiles nucléaires et balistiques et à arrêter sa démonstration de force géopolitique. Plusieurs analystes craignent que Biden n’ait l'intention de revenir en arrière.
« Nous avons tiré les leçons de l’apaisement de l’administration précédente. L’envoi de sommes énormes d’argent n’a pas changé d’un point, le comportement de l’Iran; il a plutôt financé et suralimenté leurs campagnes de terreur », a déclaré vendredi soir Mike Pompeo, le secrétaire d'État américain, aux délégués par vidéo-conférence.
« Nous savons que notre campagne fonctionne car maintenant les Iraniens signalent désespérément leur volonté de retourner à la table des négociations afin obtenir un allégement des sanctions ».
L'Allemagne est l'un des principaux signataires du PAGC parmi plusieurs puissances européennes qui ont travaillé d’arrache-pied pour préserver l'accord depuis le retrait des États-Unis en mai 2018. Dans ses remarques, Berger a affirmé que l'Allemagne et d'autres signataires « attendront de voir l’approche de la nouvelle administration américaine ».
Néanmoins, en raison du non-respect de l’Iran dans des domaines importants du PAGC et de ses récents progrès dans la recherche et le développement nucléaires, les signataires reconnaissent que l’accord devra être revu de nouveau, a-t-il ajouté.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com