KHARTOUM: La violence a franchi jeudi un nouveau palier au Soudan avec des destructions et des pillages au Darfour et d'intenses bombardements à Khartoum au treizième jour du conflit entre l'armée et des paramilitaires ayant déjà fait des centaines de morts.
"J'entends des bombardements intenses à l'extérieur de chez moi", rapporte jeudi soir un habitant de Khartoum.
Les combats qui opposent, depuis le 15 avril, l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane, aux très redoutés paramilitaires des FSR du général Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti", ont fait plus de 500 morts et des milliers de blessés, selon le ministère soudanais de la Santé.
Douchant les espoirs d'une transition démocratique, les deux généraux ont évincé ensemble les civils du pouvoir lors d'un putsch en 2021, avant d'entrer en guerre, ne parvenant pas à s'accorder sur l'intégration des paramilitaires dans l'armée.
Au Darfour, région reculée dont l'accès est aujourd'hui impossible, les violences s'intensifient, notamment à El-Geneina, capitale du Darfour-Ouest.
"Hôpitaux, bâtiments publics et centres de soin ont été sévèrement endommagés et il y a des pillages à chaque coin de rue", confie un habitant d'El-Geneina.
«Bloqués»
"On est bloqués chez nous, on a trop peur de sortir donc on ne connaît pas l'ampleur exacte des destructions", dit-il.
Peu d'informations filtrent de cette région frontalière du Tchad et théâtre dans les années 2000 d'une guerre particulièrement sanglante. Mais des médecins prodémocratie ont déjà annoncé la mort d'un de leurs confrères dans ces violences.
L'ONU fait état depuis plusieurs jours "d'attaques contre les civils, de pillages et d'incendies de maisons", alors que "des armes sont distribuées" à des civils.
Ces affrontements rendent encore plus précaire la vie des habitants de la région, l'une des plus pauvres du pays où 50 000 enfants "souffrant de malnutrition aiguë" sont privés d'aide alimentaire depuis que l'ONU a interrompu ses activités après la mort de cinq humanitaires.
"La violence, l'interruption du fonctionnement de nombreux hôpitaux et dispensaires, l'accès limité à l'eau potable, les pénuries alimentaires et le déplacement forcé des populations" constituent "les plus grands risques pour la santé au Soudan", alerte l'Organisation mondiale pour la santé (OMS).
Les combats ont provoqué un exode massif dans ce pays de 45 millions d'habitants, l'un des plus pauvres au monde.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont arrivées dans les pays frontaliers: le Tchad à l'ouest, l'Ethiopie à l'est, le Soudan du Sud et la Centrafrique au sud et l'Egypte au nord.
Le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a appelé les pays voisins et la communauté internationale à aider les personnes fuyant les combats, exhortant les belligérants à "convenir immédiatement d'un cessez-le-feu permanent pour faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire aux Soudanais dans le besoin".
«Partez maintenant», dit le gouvernement britannique à ses ressortissants au Soudan
Le ministre britannique des Affaires étrangères James Cleverly a appelé jeudi les ressortissants du Royaume-Uni souhaitant quitter le Soudan à partir "maintenant", avant la fin du cessez-le-feu prévue pour dans la soirée.
Londres avait évacué mercredi soir 536 personnes à bord de six avions, selon le ministère des Affaires étrangères. D'autres vols devraient avoir lieu jeudi, avant la fin de la trêve conclue sous l'égide des Etats-Unis après 10 jours de combats qui ont fait plusieurs centaines de morts et provoqué un exode massif.
"Si vous prévoyez de partir, partez maintenant", a dit le ministre sur la chaîne de télévision Sky News.
"Nous ne pouvons pas prévoir exactement ce qui va se passer quand le cessez-le-feu prendra fin mais ce que nous savons, c'est qu'il sera beaucoup plus difficile, voire impossible", de quitter le Soudan, a déclaré James Cleverly.
"Nous disons donc aux ressortissants britanniques, si vous hésitez, nous vous recommandons fortement (de partir) tant que le cessez-le-feu est en cours", a-t-il poursuivi. "Il y a des avions, il y a de la place. Nous vous ferons partir mais nous ne pouvons pas vous le garantir une fois que le cessez-le-feu sera terminé".
Seuls les détenteurs de passeports britanniques et les personnes à leur charge, ainsi que certains ressortissants étrangers si le nombre des places le permet, sont autorisés à pénétrer à bord des avions qui ont pour destination une base militaire britannique à Chypre. Ils peuvent de là rejoindre le Royaume-Uni.
Plus de 2 000 ressortissants britanniques ont signalé aux autorités vouloir être évacués.
Le Royaume-Uni a fait partir dimanche les membres du personnel de son ambassade et leurs familles mais a commencé mardi soir à faire de même avec ses autres ressortissants. Ce pays est toujours sous le feu des critiques, accusé d'avoir mis plus de temps à évacuer ses ressortissants que d'autres Etats.
Les médias continuent de diffuser des témoignages de Britanniques affirmant ne pas avoir été contactés par les autorités malgré leur demande d'évacuation.
"Les circonstances sont différentes d'un pays à l'autre", s'est défendu James Cleverly sur la BBC. "Les ressortissants britanniques sont éparpillés dans la ville et ont souvent des Soudanais dans leur famille. Cela rend l'évacuation beaucoup plus compliquée", a dit le ministre.
«Extrêmement inquiet»
Ces derniers jours, plusieurs pays ont organisé des évacuations par voie maritime ou aérienne. Plus de 200 Irakiens ont atterri jeudi à Bagdad, évacués à bord de deux avions envoyés par le gouvernement irakien.
Un nouveau navire saoudien est arrivé en soirée dans la ville portuaire de Jeddah, dans l'ouest du royaume, portant à 2 744 le nombre de personnes évacuées par Ryad. Le Canada a annoncé avoir procédé à l'évacuation de 118 ressortissants canadiens et d'autres pays.
Ceux restés au Soudan dans les zones de combat doivent composer avec les pénuries de nourriture, d'eau et d'électricité ainsi que les coupures d'internet et des lignes téléphoniques.
Le coordinateur humanitaire par intérim des Nations Unies au Soudan, Abou Dieng, s'est dit "extrêmement inquiet quant à l'approvisionnement en nourriture", appelant à "agir collectivement".
Quatorze hôpitaux ont été bombardés, selon le syndicat des médecins, et 19 autres ont été évacués de force à cause de tirs, de manque de matériel et de personnel ou parce que des combattants y avaient pris leurs quartiers.