Il est indispensable que l’armée du Soudan remporte la bataille

Le général Mohamed Hamdan Dagalo salue ses partisans dans le village d’Aprag, à soixante kilomètres de Khartoum, au Soudan, le 22 juin 2019. (Reuters).
Le général Mohamed Hamdan Dagalo salue ses partisans dans le village d’Aprag, à soixante kilomètres de Khartoum, au Soudan, le 22 juin 2019. (Reuters).
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Publié le Jeudi 27 avril 2023

Il est indispensable que l’armée du Soudan remporte la bataille

Il est indispensable que l’armée du Soudan remporte la bataille
  • Bien qu’on ne puisse pas faire confiance à Al-Burhan lui-même pour superviser la restauration d’un régime civil, il est primordial que l’armée soudanaise remporte cette confrontation
  • Dagalo a des connexions régionales et des combattants des Forces de soutien rapide ont été envoyés comme mercenaires pour combattre en dehors du Soudan

Il était presque inévitable que les deux partenaires récalcitrants qui dirigent conjointement le Soudan depuis quatre ans se livrent bataille, puisqu’un accord politique pour remettre le pouvoir entre les mains d’un gouvernement civil devait être signé et adopté plus tôt au cours de ce mois. Cependant, la confrontation entre le président du Conseil de souveraineté et chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhan et le chef de la milice tristement célèbre des Forces de soutien rapide (FSR), le général Mohamed Hamdan Dagalo, n’a presque rien à voir avec la restauration de la démocratie ou la fin de décennies d’épreuves difficiles pour le peuple soudanais. Il s’agit en réalité d’une lutte pour le pouvoir et d’un combat entre les forces qui ont mené le coup d’État militaire de 2019 contre Omar el-Bechir, le dictateur de longue date.

Le peuple soudanais éprouve très peu de sympathie pour l’un et l’autre. Al-Burhan et Dagalo ont fait échouer les précédentes tentatives de restauration d’un régime civil et, bien que la signature en décembre dernier de l’accord-cadre constitue un progrès significatif, le fait que Dagalo ait émis des réserves sur le calendrier d’intégration des FSR dans l’armée régulière allait toujours être rédhibitoire. D’autres enjeux posent problème aux deux hommes, notamment l’accord sur le désengagement de l’armée vis-à-vis des activités économiques et l’enquête sur les abus commis par l’armée contre des civils.

On ne sait pas comment les affrontements sanglants de cette semaine ont commencé ni à quel camp se fier en ce qui concerne les nouvelles du champ de bataille. Les deux parties affirment avoir réalisé des gains significatifs, mais, lundi soir, il était clair qu’aucune des deux n’était arrivée en tête et que des accrochages avaient lieu dans des endroits clés de la capitale, y compris au sein du quartier général de l’armée et ailleurs dans le pays.

On pourrait supposer que l’armée régulière, formée d’environ deux cent cinquante hommes bien équipés, soutenus par des avions de combat et de lourdes armures, finira par vaincre les FSR, faiblement équipées et dont le nombre serait d’environ cent mille. Mais ces dernières, qui ont combattu pendant des années au Darfour, ont fait leurs preuves. Cette force d’élite avait été choisie par El-Bechir lui-même pour lui servir de milice personnelle. En réalité, on pense que la décision de Dagalo de soutenir le coup d’État militaire contre son patron a joué un rôle déterminant dans le renversement du régime d’El-Bechir.

Bien qu’on ne puisse pas faire confiance à Al-Burhan pour superviser la restauration d’un régime civil, il est primordial que l’armée soudanaise remporte cette confrontation. Une défaite de l’armée, bien qu’elle soit difficile à imaginer, serait catastrophique pour le Soudan et son intégrité territoriale. Au-delà des conditions économiques et sociales désastreuses, le spectre de la partition et des troubles civils continue de planer au-dessus du pays. Les tribus de la région orientale économiquement vitale s’agitent et les voix qui appellent à la sécession résonnent à nouveau. L’avenir de la paix au Darfour et au Soudan du Sud est également en jeu. Une confrontation militaire prolongée pourrait également déclencher des guerres tribales dans différentes parties du pays.

Jusque-là, ni Al-Burhan ni Dagalo n'ont accepté un cessez-le-feu durable ou des pourparlers de paix. Al-Burhan a aggravé les choses en dissolvant les FSR et en qualifiant Dagalo de mutin. Pour sa part, Dagalo a accusé Al-Burhan de diriger une prise de contrôle islamiste du pays dans le but de lier le général aux partisans d’El-Bechir. De telles accusations sont destinées à envoyer des messages cryptés à des parties extérieures, à la fois régionales et au-delà, qui ont un intérêt direct dans ce qui se passe au Soudan.

Il est intéressant que le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, se soit rendu à Khartoum en février, qu’il ait mis en garde contre une infiltration islamiste radicale au Soudan et qu’il ait confirmé qu’Israël tente d’apaiser la situation là-bas. Al-Burhan et Dagalo ont tous deux rencontré des responsables israéliens et ils soutiennent officiellement la normalisation des relations entre les deux pays.

Dagalo possède des connexions régionales et des combattants des FSR ont été envoyés comme mercenaires pour combattre en dehors du Soudan. C’est probablement la raison pour laquelle Al-Burhan n’a pas tardé à mettre en garde les parties étrangères contre toute ingérence dans la crise actuelle.

Une défaite de l'armée, bien qu’elle soit difficile à imaginer, serait catastrophique pour le Soudan et son intégrité territoriale.

- Oussama al-Sharif

La situation au Soudan est critique pour la stabilité immédiate de la région. Les États-Unis, la Russie, l’Égypte et Israël ont tous un intérêt dans la façon dont la situation évoluera. Ce qui est inquiétant, c’est qu’aucune des deux parties ne sera en mesure de sceller une victoire rapide. Le conflit actuel pourrait durer des semaines, voire des mois. Si Dagalo est expulsé de la capitale, il pourrait se retirer au Darfour et mener une guérilla contre l’armée ainsi qu’à l’intérieur des villes. Dans les deux cas, le pays sombrera dans les troubles et une crise humanitaire en découlera bientôt.

Si une impasse prévaut sans solution concluante, les médiateurs pourront alors réunir les deux parties autour de la table de négociations. Ce n’est peut-être pas bon pour l’avenir du Soudan. Une situation où les deux parties resteront sur le terrain affaiblira le pays et, plus important encore, mettra en péril la mise en œuvre de l’accord-cadre.

Osama al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.

Twitter: @plato010

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com