PARIS: Une nouvelle journée d'action contre la réforme des retraites d'Emmanuel Macron, la 11e depuis janvier, a débuté jeudi en France dans un climat de plus en plus crispé entre les organisations syndicales et l'exécutif, qui parie sur un essoufflement du mouvement.
Les perturbations et le nombre de grévistes s'annoncent d'ores et déjà moins importants que lors des précédentes journées d'action, notamment dans les transports, plus fluides, et dans l'éducation, où le ministère a recensé moins de 8% d'enseignants grévistes.
Mais les syndicats tablent sur une mobilisation massive dans les cortèges organisés dans la journée en France contre le relèvement de 62 à 64 ans de l'âge de départ à la retraite. "Il y a une grosse contestation" contre cette réforme qui "ne passe toujours pas", a souligné le patron du syndicat réformiste CFDT, Laurent Berger.
Les autorités prévoient de leur côté une mobilisation moins massive, avec entre 600 000 et 800 000 personnes, dont 60 000 à 90 000 à Paris. Au total, 11 500 policiers et gendarmes seront mobilisés, alors que les derniers cortèges ont été émaillés de tensions.
Des blocages de lycées et de sites universitaires se sont produits jeudi matin à Lyon (est), Rennes (ouest), Lille (nord) ou Paris, dont celui de la prestigieuse université de la Sorbonne.
Des actions de blocages aux portes de grandes villes ont par ailleurs provoqué des embouteillages.
En dépit de l'essoufflement des grèves après bientôt trois mois de bras de fer, des manifestants affichent toujours une détermination à toute épreuve, à l'image de Davy Chrétien, à Marseille (sud): "Nous n'avons toujours pas lâché et nous n'allons pas le faire", prévient ce fonctionnaire territorial de 50 ans.
Conseil constitutionnel
De son côté, le gouvernement fait le dos rond en attendant la décision du Conseil constitutionnel, qui se prononcera le 14 avril sur la constitutionnalité de cette réforme très impopulaire. Cette haute juridiction peut censurer la loi, la valider totalement ou partiellement.
Le projet phare du second mandat d'Emmanuel Macron est sur les rails après avoir été adopté au forceps le 20 mars à l'issue de semaines de manifestations et de tractations stériles à l'Assemblée nationale.
L'utilisation d'un mécanisme constitutionnel permettant une adoption sans vote au Parlement n'a pas fait désarmer l'opposition et les syndicats. Au contraire, les relations entre le chef de l'Etat et les partenaires sociaux, en particulier la centrale réformiste CFDT, tournent à l'aigre.
Une rencontre mercredi entre la Première ministre Elisabeth Borne et l'instersyndicale -comptant 8 organisations- a tourné court, les syndicats parlant d'"échec", la CGT parlant même d'un "gouvernement obtus, radicalisé et déconnecté".
"Provocation"
Depuis la Chine, Emmanuel Macron a pour sa part répliqué via son entourage en insistant sur un projet "porté démocratiquement" et en rejetant la responsabilité de l'échec du dialogue sur les syndicats, notamment la CFDT, qui n'a "pas voulu entrer dans un compromis".
"Je dis 'stop à la provocation'. Ça n'a pas de sens, on n'est pas sur un ring. Ce n'est pas moi le problème", a rétorqué jeudi le patron de la CFDT, Laurent Berger, sur la radio RTL, estimant que M. Macron avait "la solution entre les mains".
"On est en désaccord, pas en guerre", a pour sa part assuré le ministre du Travail Olivier Dussopt.
Une intersyndicale est prévue dans la soirée pour décider d'une nouvelle journée de mobilisation avant la décision du Conseil constitutionnel.
Laurent Berger espère que les Sages censureront "l'ensemble de la loi" le 14 avril. Le Conseil peut valider le projet, le censurer partiellement ou en totalité.
Politiquement, le conflit semble tourner à l'avantage de l'extrême droite de Marine Le Pen, opposée à la réforme mais discrète depuis le début du conflit.
Selon un sondage publié mercredi, 47% des Français considèrent que la dirigeante du Rassemblement national "a la stature d'une présidente de la république", en hausse de 5 points en un an, et qu'elle est "capable de réformer le pays" (51%, + 8 points).
Retraites: la relation s'envenime un peu plus entre Macron et Berger
Mise en scène, conflit personnel ou preuve d'un dialogue social brisé ? Près de trois mois après le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, le ton monte encore entre Emmanuel Macron et le patron du premier syndicat de France, Laurent Berger.
8.000 kilomètres séparent le président, en visite d'Etat en Chine, et le leader de la CFDT, qui participe jeudi à Paris à la onzième journée de mobilisation contre le texte. Mais les deux hommes se livrent à distance une guerre des mots.
"On est chez les fous!", s'est emporté jeudi Laurent Berger sur RTL après avoir appelé, la veille, le chef de l'Etat à "garder ses nerfs" à la suite de plusieurs attaques du président ou de son entourage visant l'attitude du premier syndicat français dans le conflit sur les retraites.
Mercredi, informé en temps quasi réel de ce qui se passe à Paris, Emmanuel Macron a pris connaissance de "l'échec" de la réunion à Matignon entre Elisabeth Borne et l'intersyndicale et surtout de la déclaration à la sortie de Laurent Berger qui a évoqué une "crise démocratique".
Remonté, une fois de plus, contre les syndicats, et particulièrement contre la CFDT, le chef de l'Etat ne se prive alors pas de faire connaître son état d'esprit, même si officiellement il ne souhaite pas réagir depuis la Chine aux soubresauts de la vie politique nationale.
Selon lui, "pour la première fois de son histoire contemporaine, la CFDT n'a pas proposé un autre projet", "la réponse c'était: rien".
Mais Laurent Berger ne se montre pas dupe sur ces propos: "L'entourage d'Emmanuel Macron, c'est Emmanuel Macron. On va être très clair". "Arrêter les petites phrases", "stop à la provocation!", s'emporte-t-il sur BFMTV.
"Faire durer la pièce"
Pour le chef de l'Etat, les propos sur la "crise démocratique" ne passent pas. Le patron de la CFDT se défend d'avoir lancé "une attaque personnelle" contre le président, tout en observant que la situation actuelle "profite malheureusement à l’extrême droite".
Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a justifié jeudi sur France Inter l'intervention d'Emmanuel Macron, soulignant l'importance de "remettre l'église au milieu du village" face à des syndicats "qui confondent conflit social et crise démocratique".
Il ne s'est pas privé non plus de lancer une charge supplémentaire contre le patron de la CFDT: "Le connaissant un peu, je pense qu'il n'est pas au fond d'accord lui-même avec ce qu'il dit".
Chez Renaissance, on reproche à Laurent Berger de vouloir réduire la réforme des retraites à un problème personnel avec le président: "Vouloir recentrer l'attention sur des questions interpersonnelles, ça nous empêche de parler des vrais sujets", estime à l'AFP un cadre du parti.
Malgré ces vifs échanges, le politologue Dominique Andolfatto, auteur du livre "Anatomie du syndicalisme", refuse d'être "alarmiste".
"Il y a de la dramatisation, de la théâtralisation, mais c'est le propre d'un mouvement social", explique-t-il. "Et il faut faire durer la pièce en attendant que le Conseil constitutionnel se prononce", le 14 avril, sur la réforme.
Il reconnaît toutefois "des contentieux individuels anciens" entre Emmanuel Macron et Laurent Berger qui "ne semblent pas s'apprécier".
Mais, pour Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme, le chef de l'Etat "met en difficulté le syndicalisme qu’a promu Berger depuis qu’il est à la tête de la CFDT, un syndicalisme qui se veut de partenariat social".
Le pouvoir actuel n’a "jamais voulu de partenaire qu’il soit syndical ou autre", considérant "qu’il n’y a pas d’espace entre lui et le peuple", estime l'historien.
Jeudi, le président devrait s'abstenir de commenter la nouvelle journée de manifestations en France: il rencontrait toute la journée les dirigeants chinois et n'avait pas prévu de répondre aux questions de la presse.
La veille, il avait fait connaître son avis sur la mobilisation.
"Regardons avec un peu de recul les conflits sociaux sur les retraites qu’on a connus", a dit son entourage. "On a eu beaucoup plus de gens dans les manifestations qu’on a là. Beaucoup plus. Quel est le taux gréviste depuis 15 jours ? Il est a un niveau historiquement très faible". Le pays n'est pas "à l'arrêt".