France/retraites: nouvelle mobilisation dans un contexte crispé

La secrétaire générale du syndicat français CGT, Sophie Binet (à gauche), à côté de la déléguée générale de l'Union syndicale Solidaires (SUD), Murielle Guilbert (à gauche), Le secrétaire général de Force ouvrière (FO) Frédéric Souillot (R) et le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) Laurent Berger (C) lors d'une conférence de presse à l'issue des entretiens entre le Premier ministre français et les représentants intersyndicaux à l'hôtel de Matignon à Paris, le 5 avril 2023, après qu'une réforme des retraites a été imposée au Parlement par le gouvernement français sans vote, en recourant à l'article 49. 3 de la Constitution. (Photo, AFP)
La secrétaire générale du syndicat français CGT, Sophie Binet (à gauche), à côté de la déléguée générale de l'Union syndicale Solidaires (SUD), Murielle Guilbert (à gauche), Le secrétaire général de Force ouvrière (FO) Frédéric Souillot (R) et le secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) Laurent Berger (C) lors d'une conférence de presse à l'issue des entretiens entre le Premier ministre français et les représentants intersyndicaux à l'hôtel de Matignon à Paris, le 5 avril 2023, après qu'une réforme des retraites a été imposée au Parlement par le gouvernement français sans vote, en recourant à l'article 49. 3 de la Constitution. (Photo, AFP)
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Publié le Jeudi 06 avril 2023

France/retraites: nouvelle mobilisation dans un contexte crispé

  • Les autorités prévoient de leur côté une mobilisation moins massive, avec entre 600 000 et 800 000 personnes, dont 60 000 à 90 000 à Paris. Au total, 11 500 policiers et gendarmes seront mobilisés
  • Le projet phare du second mandat d'Emmanuel Macron est sur les rails après avoir été adopté au forceps le 20 mars à l'issue de semaines de manifestations et de tractations stériles à l'Assemblée nationale

PARIS: Une nouvelle journée d'action contre la réforme des retraites d'Emmanuel Macron, la 11e depuis janvier, a débuté jeudi en France dans un climat de plus en plus crispé entre les organisations syndicales et l'exécutif, qui parie sur un essoufflement du mouvement.

Les perturbations et le nombre de grévistes s'annoncent d'ores et déjà moins importants que lors des précédentes journées d'action, notamment dans les transports, plus fluides, et dans l'éducation, où le ministère a recensé moins de 8% d'enseignants grévistes.

Mais les syndicats tablent sur une mobilisation massive dans les cortèges organisés dans la journée en France contre le relèvement de 62 à 64 ans de l'âge de départ à la retraite. "Il y a une grosse contestation" contre cette réforme qui "ne passe toujours pas", a souligné le patron du syndicat réformiste CFDT, Laurent Berger.

Les autorités prévoient de leur côté une mobilisation moins massive, avec entre 600 000 et 800 000 personnes, dont 60 000 à 90 000 à Paris. Au total, 11 500 policiers et gendarmes seront mobilisés, alors que les derniers cortèges ont été émaillés de tensions.

Des blocages de lycées et de sites universitaires se sont produits jeudi matin à Lyon (est), Rennes (ouest), Lille (nord) ou Paris, dont celui de la prestigieuse université de la Sorbonne.

Des actions de blocages aux portes de grandes villes ont par ailleurs provoqué des embouteillages.

En dépit de l'essoufflement des grèves après bientôt trois mois de bras de fer, des manifestants affichent toujours une détermination à toute épreuve, à l'image de Davy Chrétien, à Marseille (sud): "Nous n'avons toujours pas lâché et nous n'allons pas le faire", prévient ce fonctionnaire territorial de 50 ans.

Conseil constitutionnel

De son côté, le gouvernement fait le dos rond en attendant la décision du Conseil constitutionnel, qui se prononcera le 14 avril sur la constitutionnalité de cette réforme très impopulaire. Cette haute juridiction peut censurer la loi, la valider totalement ou partiellement.

Le projet phare du second mandat d'Emmanuel Macron est sur les rails après avoir été adopté au forceps le 20 mars à l'issue de semaines de manifestations et de tractations stériles à l'Assemblée nationale.

L'utilisation d'un mécanisme constitutionnel permettant une adoption sans vote au Parlement n'a pas fait désarmer l'opposition et les syndicats. Au contraire, les relations entre le chef de l'Etat et les partenaires sociaux, en particulier la centrale réformiste CFDT, tournent à l'aigre.

Une rencontre mercredi entre la Première ministre Elisabeth Borne et l'instersyndicale -comptant 8 organisations- a tourné court, les syndicats parlant d'"échec", la CGT parlant même d'un "gouvernement obtus, radicalisé et déconnecté".

"Provocation" 

Depuis la Chine, Emmanuel Macron a pour sa part répliqué via son entourage en insistant sur un projet "porté démocratiquement" et en rejetant la responsabilité de l'échec du dialogue sur les syndicats, notamment la CFDT, qui n'a "pas voulu entrer dans un compromis".

"Je dis 'stop à la provocation'. Ça n'a pas de sens, on n'est pas sur un ring. Ce n'est pas moi le problème", a rétorqué jeudi le patron de la CFDT, Laurent Berger, sur la radio RTL, estimant que M. Macron avait "la solution entre les mains".

"On est en désaccord, pas en guerre", a pour sa part assuré le ministre du Travail Olivier Dussopt.

Une intersyndicale est prévue dans la soirée pour décider d'une nouvelle journée de mobilisation avant la décision du Conseil constitutionnel.

Laurent Berger espère que les Sages censureront "l'ensemble de la loi" le 14 avril. Le Conseil peut valider le projet, le censurer partiellement ou en totalité.

Politiquement, le conflit semble tourner à l'avantage de l'extrême droite de Marine Le Pen, opposée à la réforme mais discrète depuis le début du conflit.

Selon un sondage publié mercredi, 47% des Français considèrent que la dirigeante du Rassemblement national "a la stature d'une présidente de la république", en hausse de 5 points en un an, et qu'elle est "capable de réformer le pays" (51%, + 8 points).

Retraites: la relation s'envenime un peu plus entre Macron et Berger

Mise en scène, conflit personnel ou preuve d'un dialogue social brisé ? Près de trois mois après le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, le ton monte encore entre Emmanuel Macron et le patron du premier syndicat de France, Laurent Berger.

8.000 kilomètres séparent le président, en visite d'Etat en Chine, et le leader de la CFDT, qui participe jeudi à Paris à la onzième journée de mobilisation contre le texte. Mais les deux hommes se livrent à distance une guerre des mots.

"On est chez les fous!", s'est emporté jeudi Laurent Berger sur RTL après avoir appelé, la veille, le chef de l'Etat à "garder ses nerfs" à la suite de plusieurs attaques du président ou de son entourage visant l'attitude du premier syndicat français dans le conflit sur les retraites.

Mercredi, informé en temps quasi réel de ce qui se passe à Paris, Emmanuel Macron a pris connaissance de "l'échec" de la réunion à Matignon entre Elisabeth Borne et l'intersyndicale et surtout de la déclaration à la sortie de Laurent Berger qui a évoqué une "crise démocratique".

Remonté, une fois de plus, contre les syndicats, et particulièrement contre la CFDT, le chef de l'Etat ne se prive alors pas de faire connaître son état d'esprit, même si officiellement il ne souhaite pas réagir depuis la Chine aux soubresauts de la vie politique nationale.

Selon lui, "pour la première fois de son histoire contemporaine, la CFDT n'a pas proposé un autre projet", "la réponse c'était: rien".

Mais Laurent Berger ne se montre pas dupe sur ces propos: "L'entourage d'Emmanuel Macron, c'est Emmanuel Macron. On va être très clair". "Arrêter les petites phrases", "stop à la provocation!", s'emporte-t-il sur BFMTV.

"Faire durer la pièce" 

Pour le chef de l'Etat, les propos sur la "crise démocratique" ne passent pas. Le patron de la CFDT se défend d'avoir lancé "une attaque personnelle" contre le président, tout en observant que la situation actuelle "profite malheureusement à l’extrême droite".

Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a justifié jeudi sur France Inter l'intervention d'Emmanuel Macron, soulignant l'importance de "remettre l'église au milieu du village" face à des syndicats "qui confondent conflit social et crise démocratique".

Il ne s'est pas privé non plus de lancer une charge supplémentaire contre le patron de la CFDT: "Le connaissant un peu, je pense qu'il n'est pas au fond d'accord lui-même avec ce qu'il dit".

Chez Renaissance, on reproche à Laurent Berger de vouloir réduire la réforme des retraites à un problème personnel avec le président: "Vouloir recentrer l'attention sur des questions interpersonnelles, ça nous empêche de parler des vrais sujets", estime à l'AFP un cadre du parti.

Malgré ces vifs échanges, le politologue Dominique Andolfatto, auteur du livre "Anatomie du syndicalisme", refuse d'être "alarmiste".

"Il y a de la dramatisation, de la théâtralisation, mais c'est le propre d'un mouvement social", explique-t-il. "Et il faut faire durer la pièce en attendant que le Conseil constitutionnel se prononce", le 14 avril, sur la réforme.

Il reconnaît toutefois "des contentieux individuels anciens" entre Emmanuel Macron et Laurent Berger qui "ne semblent pas s'apprécier".

Mais, pour Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme, le chef de l'Etat "met en difficulté le syndicalisme qu’a promu Berger depuis qu’il est à la tête de la CFDT, un syndicalisme qui se veut de partenariat social".

Le pouvoir actuel n’a "jamais voulu de partenaire qu’il soit syndical ou autre", considérant "qu’il n’y a pas d’espace entre lui et le peuple", estime l'historien.

Jeudi, le président devrait s'abstenir de commenter la nouvelle journée de manifestations en France: il rencontrait toute la journée les dirigeants chinois et n'avait pas prévu de répondre aux questions de la presse.

La veille, il avait fait connaître son avis sur la mobilisation.

"Regardons avec un peu de recul les conflits sociaux sur les retraites qu’on a connus", a dit son entourage. "On a eu beaucoup plus de gens dans les manifestations qu’on a là. Beaucoup plus. Quel est le taux gréviste depuis 15 jours ? Il est a un niveau historiquement très faible". Le pays n'est pas "à l'arrêt".


Décès de Jean-Claude Gaudin, longtemps maire et incarnation de Marseille

Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, pose lors d'une séance photo dans son bureau de Marseille, dans le sud de la France, le 12 octobre 2017 (Photo, AFP).
Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, pose lors d'une séance photo dans son bureau de Marseille, dans le sud de la France, le 12 octobre 2017 (Photo, AFP).
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  • S'il a incarné cette cité méditerranéenne, ses dernières années de mandat ont été critiquées
  • Sa dépouille sera ramenée ultérieurement à Marseille, où la population pourra lui rendre un hommage avant son inhumation à une date encore à déterminer au cimetière de Mazargues

MARSEILLE: Jean-Claude Gaudin, ancien maire de Marseille, la deuxième ville de France qu'il a incarnée et dirigée pendant 25 ans, et longtemps figure de la vie politique à droite, est décédé dimanche à l'âge de 84 ans.

"Jean-Claude Gaudin n'est plus. Il était Marseille faite homme. De sa ville, sa passion, il avait l'accent, la fièvre, la fraternité. Pour elle, cet enfant de Mazargues (quartier du sud de Marseille, ndlr) s'était hissé aux plus hauts postes de la République qu'il a servie. Je pense à ses proches et aux Marseillais", a écrit le président Emmanuel Macron sur le réseau social X.

L'ancien maire a été victime d'un arrêt cardiaque dans la matinée dans sa résidence secondaire varoise de Saint-Zacharie et n'a pu être ranimé par les pompiers, a indiqué à l'AFP une source de son entourage, précisant que Jean-Claude Gaudin était "fatigué" mais que "rien ne laissait présager" son décès soudain.

Sa dépouille sera ramenée ultérieurement à Marseille, où la population pourra lui rendre un hommage avant son inhumation à une date encore à déterminer au cimetière de Mazargues, a précisé cette source.

Les drapeaux de la mairie centrale de Marseille, sur l'emblématique Vieux-Port, ont été mis en berne, a constaté une journaliste de l'AFP.

Ancien sénateur, député et ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ville et de l'Intégration sous Jacques Chirac entre 1995 et 1997, Jean-Claude Gaudin a surtout été maire de Marseille, la ville où il est né, de 1995 à 2020.

S'il a incarné cette cité méditerranéenne, ses dernières années de mandat ont été critiquées pour leur "immobilisme" par ses adversaires, et même certains alliés, et marquées par la tragédie de la rue d'Aubagne, le 5 novembre 2018. Deux immeubles insalubres d'un quartier populaire du centre - dont un propriété de la Ville - s'effondrent. Huit personnes meurent ensevelies.

L'onde de choc révèle l'ampleur du logement indigne dans une ville où 40.000 personnes vivent dans des taudis. Les associations accusent la mairie d'avoir ignoré les alertes. Dans la foulée, des milliers de personnes sont évacuées de logements déclarés en "péril imminent".

"Ça me hante chaque jour, en 24 ans je n'ai jamais connu un drame pareil", avait confié à l'AFP Jean-Claude Gaudin.

«Sa trace restera»

Deux ans plus tard, alors que ses héritiers potentiels à droite étaient divisés, certains ayant rejoint Emmanuel Macron, une coalition gauche-écologistes-société civile remportait la mairie après des élections municipales à rebondissements.

L'actuel maire divers gauche, Benoît Payan, qui ne ménageait pas ses critiques dans l'opposition et a souvent assuré avoir récupéré avec ses équipes une ville dans un état "lamentable", lui a rendu hommage sur X: "Jean-Claude Gaudin paraissait insubmersible. Son départ me peine infiniment. A celui qui aimait tellement Marseille, son histoire et ses habitants, je veux rendre un hommage ému et sincère. Il manquera à cette ville. Sa trace restera."

"Jean-Claude Gaudin était comme un père pour moi, tout le monde le sait mais je veux l'écrire. Un grand homme d'État, un inoubliable maire de Marseille dans notre Histoire bimillénaire, et surtout un homme avec un cœur énorme", a réagi de son côté sur X Martine Vassal, son "héritière" présomptive et malheureuse pour la mairie au 2020, aujourd'hui présidente de droite du département et de la métropole Aix-Marseille-Provence.

"Il a servi cette ville et a su l'incarner, avec un talent exceptionnel. Il a aussi servi la France, son pays, et il fut un grand maire. Il laissera une trace indélébile," a réagi le président le président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Renaud Muselier (Renaissance), qui fut son premier adjoint pendant plus de 10 ans et avait un temps espéré lui succéder à la mairie.

Le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, a salué, "derrière cette vie consacrée à la chose publique (...) l'homme de coeur et l'amoureux de sa chère ville de Marseille". Catholique affiché, Jean-Claude Gaudin avait assisté aux premières loges à la visite du pape François en septembre dans la cité phocéenne, souvent aux côtés de M. Payan et du cardinal Aveline, qui le qualifie dans son hommage "d'ami toujours fidèle".

Le président des LR Eric Ciotti a salué un homme qui "aimait Marseille plus que tout". "J'aimais sa gouaille. J'admirais son courage. J'écoutais ses conseils. Je suis fier d’avoir travaillé à ses côtés. Ma peine est immense, je perds un ami".


La Nouvelle-Calédonie toujours en proie aux blocages avant un Conseil de défense à Paris

Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel. (AFP).
Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel. (AFP).
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  • Les blocages de routes persistent en Nouvelle-Calédonie, malgré les moyens engagés par l'Etat français pour rétablir la circulation dans son territoire du Pacifique Sud, avant un nouveau Conseil de défense convoqué lundi à Paris
  • Permettre la circulation sur la voie express puis la route qui mène vers cet aéroport est le premier objectif des autorités françaises.

NOUMEA: Les blocages de routes persistent en Nouvelle-Calédonie, malgré les moyens engagés par l'Etat français pour rétablir la circulation dans son territoire du Pacifique Sud, avant un nouveau Conseil de défense convoqué lundi à Paris par le président Emmanuel Macron.

Permettre la circulation sur la voie express puis la route qui mène vers cet aéroport est le premier objectif des autorités françaises.

"La situation est vraiment préoccupante", a déclaré lundi le chef du gouvernement australien Anthony Albanese à la télévision ABC.

De même que la Nouvelle-Zélande, Canberra a demandé durant le week-end à pouvoir poser des avions afin de pouvoir rapatrier ses concitoyens, alors que l'aéroport est toujours fermé aux vols commerciaux.

Samedi, le gouvernement néo-calédonien a estimé à 3.200 le nombre de personnes bloquées, qui ne peuvent ni quitter ni rejoindre l'archipel.

Après une semaine d'émeutes et un bilan de six morts, aucune issue proche à la crise sécuritaire et politique ne semble se dessiner lundi, jour férié. En cause, une réforme du corps électoral contestée par les représentants du peuple autochtone kanak qui redoutent une réduction de leur poids.

Malgré une vaste opération des forces de l'ordre lancée dimanche, les voies de communication restent bloquées lundi là où les émeutiers ont installé leurs barrages, notamment dans l'agglomération de Nouméa et sur la route d'une cinquantaine de kilomètres qui mène à l'aéroport international.

« On a remis le barrage »

A la sortie de Nouméa, la chaussée du début de la voie express est impraticable, le bitume ayant fondu après l'incendie de nombreux véhicules, a constaté une journaliste de l'AFP. Ailleurs, la route reste encombrée à de nombreux endroits de carcasses de voitures brûlées, ferraille et bois entassés.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, s'est pourtant félicité lundi du "succès" du début d'une vaste opération de la gendarmerie contre les barrages sur cette route, lancée à l'aube dimanche, faisant état de "76 barrages neutralisés".

D'autres actions des unités d'élite de la police et de la gendarmerie ont été annoncées dans des zones considérées par les autorités comme des "points durs", dans les villes de Nouméa, Dumbéa et Païta notamment.

Dans la nuit de dimanche à lundi, des bruits de grenades de désencerclement, utilisées par les forces de l'ordre pour disperser les émeutiers, ainsi que des cris évoquant des affrontements ont été entendus dans le quartier d'Auteuil à Dumbéa, dans l'agglomération de Nouméa, selon un correspondant de l'AFP.

Et dans la "capitale" calédonienne, des détonations importantes ont résonné dans les quartiers de Magenta et Tuband, selon une autre journaliste de l'AFP.

Lundi matin, la zone industrielle où se trouve la Société du nickel, dans le quartier de Montagne coupée à Nouméa, a vu l'incendie d'un entrepôt dont se dégageait une épaisse fumée noire.

Les gendarmes "sont passés, ils ont déblayé, et nous, on est restés sur le côté", a confié dimanche à l'AFP Jean-Charles, la cinquantaine, tête enturbannée d'un foulard et drapeau kanak à la main à La Tamoa, à quelques kilomètres de l'aéroport. "Une fois qu'ils sont passés, on a remis le barrage".

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne), dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois Kanak (autochtones), dans l'agglomération de Nouméa.

Risque d'«escalade»

Les forces de l'ordre estiment le nombre d'émeutiers entre 3.000 et 5.000.

"Nous restons dans une démarche pacifique", a indiqué dans un communiqué lundi la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), collectif indépendantiste accusé par les autorités d'attiser les violences.

La CCAT se défend en indiquant qu'elle a seulement appelé à des barrages "filtrants", qui laissent le passage à certains véhicules, y compris les pompiers ou ambulances à toute heure, et en arrêtent d'autres.

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde, a appelé lundi à la retenue. "Moi j'ai peur qu'on ne franchisse une escalade supplémentaire, parce que s'il commence à y avoir des tirs ça veut dire que les gens bien sûr, on le sait, sont armés", a-t-elle déclaré sur la chaîne BFMTV.

Pour le Haut-commissaire de la République, les dégâts contre les infrastructures (écoles, pharmacies, commerces...) pénalisent lourdement la population. "On commence à manquer de nourriture", a-t-il prévenu dimanche.

Couvre-feu 

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18h00 et 6h00, l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool et le bannissement de l'application TikTok.

La réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux scrutins provinciaux de Nouvelle-Calédonie, au risque de marginaliser "encore plus le peuple autochtone kanak", selon les indépendantistes. Elle a été adoptée par les députés, après les sénateurs, dans la nuit de mardi à mercredi.

Ce texte doit encore être voté par les parlementaires réunis en Congrès avant la fin juin, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et loyalistes intervient d'ici là.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique des JO de Paris, prévu le 11 juin sur l'île, a été annulé.

Le territoire du Pacifique Sud est stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie-Pacifique et de par ses riches ressources en nickel, minerai indispensable à la fabrication des véhicules électriques notamment.


Vaste opération des forces de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, après six morts dans des émeutes

Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024.  (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur / AFP)
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  • Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X
  • Sur la route vers l’aéroport, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient

NOUMÉA, France : L'Etat français a lancé dimanche une vaste opération des forces de l'ordre dans son archipel du Pacifique Sud de Nouvelle-Calédonie pour dégager la route vers l'aéroport, après six morts en six jours d'émeutes contre une réforme électorale.

Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X.

Une urgence pour les autorités, d'autant que la Nouvelle-Zélande a annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, afin de rapatrier ses ressortissants.

«Nous sommes prêts à décoller, et attendons l'autorisation des autorités françaises pour savoir quand ces vols pourront avoir lieu en toute sécurité», a indiqué dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Winston Peters.

En l'absence de vols depuis et vers la Nouvelle-Calédonie, suspendus depuis mardi, le gouvernement de l'archipel estimait samedi que 3.200 personnes étaient bloquées, soit parce qu'elles ne pouvaient pas quitter l'archipel, soit parce qu'elles ne pouvaient pas le rejoindre.

- Plus de 3.000 personnes bloquées -

Pour déblayer la route vers l'aéroport, un convoi constitué notamment de blindés et d'engins de chantier à quitté Nouméa, dans un premier temps vers Païta.

Mais des journalistes de l'AFP ont constaté que dimanche à la mi-journée, à Nouméa et dans les communes avoisinantes, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient.

«On est prêt à aller jusqu’au bout, sinon à quoi bon?», a dit un manifestant à l'AFP sur un barrage à Tamoa.

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois civils kanaks, dans l'agglomération de Nouméa.

Dans un communiqué dimanche matin, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a fait cependant état d'une nuit «plus calme», soulignant que l'Etat se mobilisait.

«Au total, 230 émeutiers ont été interpellés» en près d'une semaine, a-t-il précisé.

Reprendre le contrôle par la force devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l'ordre. La violence dans certains quartiers chaque nuit montre que les émeutiers restent très déterminés.

«La réalité c'est qu'il y a (...) des zones de non-droit (...) qui sont tenues par des bandes armées, des bandes indépendantistes, de la CCAT. Et dans ces endroits, ils détruisent tout», affirmait samedi sur BFMTV le vice-président de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Blaise.

La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) est une organisation indépendantiste radicale accusée d'inciter à la plus grande violence.

- «Ingérences» -

Nouvel exemple des troubles dans la nuit de samedi à dimanche: d'après la chaîne de télévision publique Nouvelle-Calédonie La 1ère, la médiathèque du quartier de Rivière salée à Nouméa a été incendiée.

Interrogée par l'AFP, la mairie de Nouméa a répondu dimanche matin n'avoir «aucun moyen pour le moment de le vérifier, le quartier étant inaccessible».

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde (Renaissance), estimait samedi sur BFMTV que la situation était «loin d'un retour à l'apaisement». «Est-ce qu'on peut dire qu'on est dans une ville assiégée? Oui, je pense qu'on peut le dire», ajoutait-elle.

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18H00 et 6H00 (7H00 et 19H00 GMT), l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool, et le bannissement de l'application TikTok.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique en Nouvelle-Calédonie prévu le 11 juin a été annulé.

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. De moins en moins de commerces réussissent à ouvrir, et les nombreux obstacles à la circulation compliquent de plus en plus la logistique pour les approvisionner, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

Dimanche matin, la province Sud, qui regroupe près des deux tiers de la population, a annoncé que toutes les écoles resteraient fermées dans la semaine.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak, qui redoutent une réduction de leur poids électoral.

Sans faire de lien direct avec les violences, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a accusé l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie, Bakou dénonçant des accusations «infondées».

Le sénateur français Claude Malhuret, rapporteur d'une commission d'enquête sur TikTok, interdit sur l'archipel en raison des émeutes, a lui estimé qu'il fallait plus craindre «des ingérences de la Chine» qui «veut être dans son pré carré en mer de Chine mais également prépondérante dans le Pacifique». «Elle a besoin de nickel pour produire ses batteries», a-t-il expliqué dans un entretien à l'AFP, en référence au minerai brut dont l'archipel détient 20 à 30% des ressources mondiales.