TUNIS: À quoi peut servir un député dans un régime hyperprésidentiel comme celui qui a été instauré par le président Kaïs Saïed par la Constitution du 25 juillet 2022? Cette question taraude les membres de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Entre ceux qui promettent à leurs électeurs de faire avancer la démocratie – et de consolider le prestige de la Tunisie – et ceux qui se sont engagés à obtenir la réalisation de projets d’infrastructures dans leur circonscription, autant de promesses qu’ils n’ont pas le pouvoir de tenir, les membres de la nouvelle ARP peinent à se trouver un rôle à l’ombre d’une nouvelle Constitution qui concentre tous les pouvoirs entre les mains du président
Alors qu’ils ont commencé, le 13 mars 2023 à mettre en place les structures internes du parlement et à en élaborer le règlement intérieur, après en avoir élu le président, l’ancien bâtonnier Brahim Bouderbala, les nouveaux représentants du peuple ne sont pas encore parvenus à formuler une réponse collective sur le rôle qu’ils pensent jouer en tant que pouvoir législatif.
La campagne électorale pour le premier et le second tour des élections législatives de décembre 2022-janvier 2023 avait déjà révélé la perplexité des députés de la «Nouvelle république», et même un certain désarroi.
La nouvelle Constitution les ayant privés de – presque – tout rôle à l’échelle nationale, la plupart d’entre eux se sont focalisés sur les problèmes de leur petite circonscription. Lors des législatives de 2010, leur nombre est passé de trente-trois (dont six à l’étranger) à cent soixante et un (dont dix à l’étranger). Par ignorance de la nouvelle réalité politique et notamment de la répartition des pouvoirs entre le Parlement et le président ou par souci de garantir leur élection, ils ont pris des engagements concrets qui portent sur la réalisation de projets précis: écoles, routes, hôpitaux…
Certains, plus prudents et fort probablement conscients des limites de leurs prérogatives, à l’instar du candidat et futur président de l’ARP, Brahim Bouderbala, ont évité de faire des promesses dont ils savaient qu’ils ne pourraient pas les tenir.
Entre ceux qui promettent à leurs électeurs de faire avancer la démocratie – et de consolider le prestige de la Tunisie – et ceux qui se sont engagés à obtenir la réalisation de projets d’infrastructures dans leur circonscription, autant de promesses qu’ils n’ont pas le pouvoir de tenir, les membres de la nouvelle ARP peinent à se trouver un rôle à l’ombre d’une nouvelle Constitution qui concentre tous les pouvoirs entre les mains du président.
Pendant la campagne électorale, l’ancien bâtonnier, qui se présentait à Rades, dans la banlieue sud de Tunis, s’est déclaré «préoccupé» par le problème de la pollution, et notamment celui du littoral, dans sa circonscription. Mais après son élection au premier tour, après la fin du processus politique avec l’organisation des élections, il a simplement promis de se focaliser «sur le processus économique et social».
Quelques futurs élus, enfin, à l’instar d’Imed Ouled Jibril, désormais président de la Commission de règlement intérieur, ont été suffisamment fourbes ou inconscients pour promettre de faire avancer des dossiers et des questions qui sont du ressort du pouvoir exécutif, et sur lesquels ils n’ont donc aucune prise: pousser à la réalisation de grands projets, «renforcer la position politique et stratégique de la Tunisie dans son environnement régional et international», «enraciner un climat démocratique», «changer le régime politique de manière à garantir le prestige de l’État et les droits du citoyen» ainsi que «consolider la compétitivité de l’économie nationale».
Un candidat a toutefois émergé du lot par sa lucidité ou sa franchise. S’adressant aux électeurs pendant la campagne électorale et probablement convaincu que l’entrée au Parlement représente un bon ascenseur social, il leur a avoué qu’il savait qu’il n’allait pas pouvoir résoudre leurs problèmes et leur a demandé de voter pour lui afin de l’aider à régler les siens.