PARIS: Celui qui a impulsé l'union de la gauche sera-t-il celui qui la défera? Jean-Luc Mélenchon entretient une relation contrariée avec la Nupes, qu'il voit autant comme un outil de conquête du pouvoir que comme un nid à problèmes.
Il est loin le temps où le tribun insoumis se plaçait au centre de la scène de la convention créant la Nupes, en mai 2022 à Aubervilliers. Il saluait alors "l'histoire en train de s'écrire" avec à sa gauche l'écologiste Julien Bayou et à sa droite le socialiste Olivier Faure.
Désormais, dans sa campagne hyperactive contre la réforme des retraites, Jean-Luc Mélenchon tient ses meetings uniquement avec d'autres insoumis. Et en manifestation, il esquive les points presse Nupes, répondant seul, sur le stand des insoumis, aux questions des journalistes.
Nul snobisme, selon l'intéressé. Jean-Luc Mélenchon confiait récemment à l'AFP, en coulisses d'un meeting, qu'il tenait d'abord à laisser vivre un collectif humain encore neuf, aux dirigeants plus jeunes. Mais aussi - et surtout? - qu'il rechignait "à gérer les histoires des uns et des autres", en d'autres termes les équilibres politiques et personnels.
En effet, Jean-Luc Mélenchon a toujours préféré travailler avec un groupe de partisans homogènes, organisés comme un commando, à l'image de ses trois campagnes présidentielles ou du groupe des 17 députés insoumis de la législature précédente. L'échelle des 150 députés des groupes composant aujourd'hui la Nupes est toute autre.
Les bisbilles à l'Assemblée nationale sur l'obstruction des insoumis l'ont en partie dépassé. Et pour reprendre la main, Jean-Luc Mélenchon a dégainé un tweet rageur, s'irritant d’un retrait massif d’amendements des communistes pour accélérer les discussions. Pas le meilleur signe d'une autorité naturelle.
Mais la Nupes, "il y croit encore", assurent ses proches. Notamment parce qu'il sait qu'il a raté la qualification au second tour à la présidentielle de 2022 en raison de la dispersion de la gauche en quatre candidatures.
«Acte 2»
Au sein de LFI, un des compagnons de route devenu "frondeur" fait mine de s'étonner: "Si j’étais Mélenchon, je ferais le papy Nupes, qui rassemble. Il devrait faire en sorte qu’il ne soit pas le sujet, en mode unitaire tranquille".
Mais ce député croit comprendre la raison de la méfiance du chef insoumis: une éventuelle primaire Nupes pour la prochaine présidentielle - même si Jean-Luc Mélenchon a juré qu'il préfèrerait ne pas se représenter.
"La Nupes implique qu’on rediscute le candidat en 2027... Or est-ce que +JLM+ peut être le candidat du rassemblement? Il est un personnage très clivant, qui soude certes notre camp et des catégories populaires, mais je ne vois pas le PS et les écolos le soutenir".
Le même insoumis imagine: "Son plan c’est donc peut-être de cliver, faire en sorte que les autres cassent le cadre Nupes pour après dire +vous voyez ce qu'ils font?+".
François Cocq, ancien stratège LFI devenu indésirable, remarque que Jean-Luc Mélenchon a "remisé", ces dernières semaines, la demande frontale de dissolution.
Contrairement à juin 2022, poursuit le porte-parole de la campagne 2017, "il voit qu'il n'est plus le point de centralité dans la Nupes, même s'il reste un point de repères pour le pays. Il ne peut plus imposer Mélenchon, Premier ministre. LFI ressortirait plus déshabillé que les autres à gauche" de nouvelles élections.
De fait, certains partenaires réclament, depuis quelques semaines, un "acte 2" de la Nupes. "S'il y a dissolution il y aura une nouvelle négociation", prévient le sénateur socialiste Rémi Cardon. "Il faut faire un audit sur les rapports de force, notamment là où il y a eu des défaites et où on aurait pu faire basculer".
De leur côté, Sandrine Rousseau et plusieurs autres écologistes ont, dans leur tribune au Monde, rendu hommage au taulier pour mieux parler de la suite: "Jean-Luc Mélenchon a eu l'immense mérite d’être l’artisan de cette première étape indispensable. Merci à lui. Construisons de manière collective la seconde".
Frédéric Dabi, directeur général de l'Ifop, estime néanmoins que "Mélenchon reste l'incarnation de la Nupes, c'est lui qui donne le tempo". Pour Manuel Bompard, coordinateur de LFI, "il y a une différence entre une certaine stature" qu'ont certains dans la Nupes "et le costume présidentiel. A l'heure actuelle à gauche, il n'y a que Jean-Luc Mélenchon".