La France critiquée pour sa retenue sur les événements en Tunisie

Le président français Emmanuel Macron discute avec le président tunisien Kais Saied avant une réunion bilatérale lors du 18e Sommet des pays francophones à Djerba, le 19 novembre 2022. (Photo, AFP)
Le président français Emmanuel Macron discute avec le président tunisien Kais Saied avant une réunion bilatérale lors du 18e Sommet des pays francophones à Djerba, le 19 novembre 2022. (Photo, AFP)
Short Url
Publié le Jeudi 09 mars 2023

La France critiquée pour sa retenue sur les événements en Tunisie

  • «La réaction de la France depuis la dérive autoritaire du président tunisien Kais Saied est très décevante», estime Eric Goldstein, directeur adjoint de l'ONG Human Rights Watch (HRW)
  • Le président tunisien est perçu par certains pays comme la France mais aussi l'Italie voisine, comme celui capable de contrôler le phénomène migratoire

PARIS: Les défenseurs des droits de l'Homme critiquent la position timorée de la France à l'égard de la dérive autoritaire du président tunisien, une diplomatie qui s'inscrit dans une longue tradition d'indulgence de Paris vis-à-vis de Tunis.

La prudence s'exprime aussi au moment où la position de l'ancienne puissance coloniale est fragilisée au Maghreb, et plus largement en Afrique francophone.

"La réaction de la France depuis la dérive autoritaire du président tunisien Kais Saied est très décevante", estime Eric Goldstein, directeur adjoint de l'ONG Human Rights Watch (HRW), déplorant "des mots pesés".

Le 21 février, le chef d'Etat tunisien avait affirmé que la présence de "hordes" d'immigrés clandestins originaires d'Afrique subsaharienne était source de "violence et de crimes" et relevait d'une "entreprise criminelle" visant à "changer la composition démographique" du pays.

S'en est suivie une recrudescence d'agressions à leur encontre et des dizaines d'entre eux ont demandé à leurs ambassades à être rapatriés.

Cette sortie du président Saied sur les personnes migrantes était survenue après une série d'arrestations dans les milieux politiques dénoncées par l'opposition comme une nouvelle tentative du pouvoir de la museler.

Quelques jours plus tard, le 24 février, la porte-parole du ministre français des Affaires étrangères avait réagi mais seulement "aux récentes vagues d'arrestations en Tunisie", en exprimant "la préoccupation" de la France.

Paris avait aussi appelé les autorités tunisiennes "à veiller au respect des libertés individuelles et des libertés publiques".

Pour Kamel Jendoubi, militant historique des droits de l'Homme et ancien ministre post-révolution, "c'est un silence gênant et assourdissant".

Cette attitude n'étonne pourtant pas les spécialistes tels que Vincent Geisser, chercheur au CNRS et spécialiste de la Tunisie.

La FIDH dénonce «les propos racistes» de Saied

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) a condamné jeudi "les propos racistes" du président tunisien Kais Saied, à l'égard des migrants d'origine subsaharienne, malgré sa récente annonce "d'apaisement" qui "ne comportait même pas d'excuses".

"La FIDH, ses 54 organisations membres en Afrique et ses 188 organisations dans le monde s'opposent de toutes leurs forces aux violences verbales et physiques qui frappent les migrants sur le sol tunisien", a déclaré la présidente Alice Mogwe, citée dans un communiqué.

Quel que soit le régime

A de rares exceptions comme sous le gouvernement de l'ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin, "la France a toujours été très précautionneuse et a toujours prôné une forme de modération, avec des critiques très voilées" vis-à-vis du régime tunisien "quel qu'il soit", souligne-t-il.

Eric Goldstein, de HRW, rappelle que l'ancien président Nicolas Sarkozy s'était ainsi montré "très rétif à critiquer la répression" sous l'ère Zine el-Abidine Ben Ali.

La France a, certes, récemment appelé, à "préserver" les acquis démocratiques issus de la révolution de 2011.

Mais chercheurs et défenseurs des droits humains, soulignent que cela reste insuffisant face aux arrestations arbitraires, à la fin de l'indépendance judiciaire ou encore des lois liberticides.

"Les déclarations de la France sont loin d'être à la hauteur de cette crise", poursuit Eric Goldstein, exhortant Paris à se positionner clairement du côté des pays défendant les droits de l'Homme et à cesser de "prétexter" ne pouvoir agir en raison de son histoire "d'ancien pouvoir colonial".

Selon Kamel Jendoubi, le Quai d'Orsay "au plus haut niveau fait son travail", signalant à l'Elysée "les évolutions inquiétantes de la Tunisie".

"Mais rien n'en sort, si ce n'est un langage très mesuré", regrette-t-il.

Immigration 

Il se dit convaincu que "dans l'analyse" du président français Emmanuel Macron, Kais Saied "a fait ce qu'aucun autre dirigeant n'a fait", à savoir "neutraliser l'islam politique", ce qui lui confère "une sorte de reconnaissance politique".

Pour Khadija Finan, politologue spécialiste du Maghreb, la position de la France doit surtout être analysée à l'aune des questions migratoires.

Le président tunisien est perçu par certains pays comme la France mais aussi l'Italie voisine, comme celui capable de contrôler le phénomène migratoire.

"On a beaucoup mis l'accent sur le racisme mais pas suffisamment sur les politiques implicites d'externalisation du contrôle des flux migratoires", souligne la politologue, notant les aides et les formations "de l'administration, des gardes-côtes, d'une partie de la gendarmerie" pour faire de la rétention.

"De manière maladroite", le président tunisien a ainsi agi en réponse aux demandes des pays membres de l'Union européenne, à commencer par la France et l'Italie, opine-t-elle. Parallèlement, sa politique dénoncée comme xénophobe a trouvé un écho dans "un racisme latent" dans des franges de la population tunisienne qui subissent de plein fouet la crise économique.

La France est "gênée" par les déclarations racistes et xénophobes, reprend Vincent Geisser. "En même temps, elle n'est pas complètement opposée à cette orientation très sécuritaire sur les flux migratoires", observe le chercheur.

Mais au-delà, du phénomène migratoire, la France, qui est "en délicatesse avec le Maroc" et dont les relations sont "très variables" avec l'Algérie, essaie tant bien que mal de conserver de bonnes relations avec la Tunisie, opine-t-il enfin.


Après les tensions, Paris et Alger entament un nouveau chapitre

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Short Url
  • Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont décidé de relancer les échanges bilatéraux
  • L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique

Après avoir frôlé la rupture, un nouveau chapitre s'ouvre dans les relations entre la France et l'Algérie.

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise.

Le communiqué publié par le palais de l'Élysée fait suite à plusieurs signes récents de rapprochement, notamment l'entretien accordé par Tebboune aux journalistes des médias publics algériens, où il a exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec son homologue français et de mettre fin à ce qu'il a qualifié de «période d'incompréhension» entre leurs deux pays.

L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique, centrée sur trois axes prioritaires: la coopération sécuritaire, la gestion des flux migratoires et les questions mémorielles.

Le communiqué conjoint, publié à l’issue de cet échange, souligne la volonté des deux chefs d’État de dépasser les crises récentes pour amorcer une relation apaisée et mutuellement bénéfique.

Premier résultat concret dans le cadre de cette volonté affichée, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger le 6 avril pour des entretiens avec son homologue algérien Ahmed Attal.

Les ministres devront détailler un programme de travail ambitieux et en décliner les modalités opérationnelles et le calendrier de mise en œuvre.

La coopération sécuritaire doit reprendre sans délai, notamment pour lutter contre le terrorisme au Sahel et sécuriser les frontières de la région.

La gestion des migrations irrégulières et la question des réadmissions de ressortissants algériens en situation irrégulière en France sont au cœur des discussions. 

Cette dynamique s’inscrit dans la continuité de l’engagement du président français, exprimé dès le début de son premier mandat et même avant, lors de sa campagne électorale en Algérie, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Plus tard et dès son élection en 2017, Macron a affiché sa volonté de regarder «la vérité en face». Sa première visite officielle en Algérie marquait la priorité qu’il entend donner à la relation franco-algérienne, en posant les bases d’un dialogue sincère et apaisé. 

Cet engagement a été réaffirmé par la déclaration d’Alger en août 2022, qui prévoyait la mise en place d’une «commission mixte des historiens» chargée d’examiner les archives et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Les enjeux de ce rapprochement, dont l’objectif est la poursuite du travail de refondation des relations bilatérales, dépassent le cadre strictement bilatéral et s’inscrivent dans un contexte géopolitique et sécuritaire complexe.

La coopération entre Paris et Alger est essentielle pour répondre aux défis régionaux, notamment dans le Sahel, où le terrorisme et l’instabilité menacent la sécurité de l’Afrique du Nord et de l’Europe. 

La France et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la lutte contre les groupes armés et leur coopération stratégique revêt une importance capitale pour stabiliser la région.

La gestion des flux migratoires reste un point de tension récurrent, car si la France souhaite des mécanismes de réadmission efficaces, l’Algérie demande le respect de la dignité et des droits de ses ressortissants. 

Malgré la volonté de réconciliation affichée, le dossier mémoriel reste un obstacle majeur.

La question des excuses officielles pour les crimes coloniaux demeure sensible. Si Emmanuel Macron a reconnu des «crimes contre l’humanité» en 2017, les demandes d’excuses formelles de l’Algérie n’ont pas encore été pleinement satisfaites. 

Les travaux de la commission mixte des historiens, lancés à l’été 2022, doivent permettre d’approfondir la recherche sur cette période sombre et de poser les bases d’un dialogue apaisé.

Malgré les gestes d’ouverture, les relations entre Paris et Alger restent fragiles, en partie en raison d’une méfiance réciproque, alimentée par des perceptions contradictoires des enjeux bilatéraux.

L’un des points de friction les plus marquants est la question du Sahara occidental. La position française, perçue comme favorable au Maroc, a suscité des crispations du côté algérien, allant jusqu’au rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. 

Pour Alger, le soutien implicite de Paris au plan d’autonomie marocain est perçu comme un alignement qui remet en cause l’équilibre diplomatique régional.

Bien que la France ait tenté de clarifier sa position, en affirmant vouloir accompagner une dynamique internationale de sortie de crise, ce dossier demeure une source de tension. 

Au-delà des relations diplomatiques, les opinions publiques des deux pays jouent un rôle crucial dans l’évolution du partenariat.

En Algérie, une partie de la population reste méfiante vis-à-vis des intentions françaises, nourrie par un sentiment de souveraineté exacerbée et par la mémoire toujours vive des exactions coloniales. 

En France, la question algérienne suscite également des clivages politiques. Certains considèrent les gestes mémoriels comme une forme de repentance excessive, tandis que d’autres appellent à une reconnaissance plus franche des torts commis pendant la colonisation. 

La relance des relations entre la France et l’Algérie repose sur un équilibre délicat entre la reconnaissance du passé, la gestion des défis actuels et la mise en œuvre d’une coopération tournée vers l’avenir. 

Malgré la volonté politique manifeste, la concrétisation de ce partenariat dépendra de la capacité des deux dirigeants à dépasser les clivages historiques et à impulser une dynamique durable.


Paris entend résoudre les tensions avec Alger « sans aucune faiblesse »

le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
Short Url
  • Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ».
  • « L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

PARIS : Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ». Il s'exprimait au lendemain d'un entretien entre les présidents français et algérien, qui visait à renouer le dialogue après huit mois de crise diplomatique sans précédent.

« Les tensions entre la France et l'Algérie, dont nous ne sommes pas à l'origine, ne sont dans l'intérêt de personne, ni de la France, ni de l'Algérie. Nous voulons les résoudre avec exigence et sans aucune faiblesse », a déclaré Jle chef de la diplomatie française devant l'Assemblée nationale, soulignant que « le dialogue et la fermeté ne sont en aucun cas contradictoires ».

« L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

Les Français « ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et au sujet bien évidemment de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal », a affirmé le ministre en référence à l'écrivain franco-algérien condamné jeudi à cinq ans de prison ferme par un tribunal algérien. 


Algérie: Macron réunit ses ministres-clés au lendemain de la relance du dialogue

Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Short Url
  • Emmanuel Macron  réunit mardi plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune
  • Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales.

PARIS : Emmanuel Macron  réunit mardi à 18H00 plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune pour relancer le dialogue, a appris l'AFP de sources au sein de l'exécutif.

Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales après des mois de crise, selon le communiqué conjoint publié lundi soir.

Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, effectuera de même une visite prochainement pour relancer la coopération judiciaire.

Le communiqué ne mentionne pas en revanche le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, figure du parti de droite Les Républicains, partisan d'une ligne dure à l'égard de l'Algérie ces derniers mois, notamment pour obtenir une nette augmentation des réadmissions par le pays de ressortissants algériens que la France souhaite expulser.

Bruno Retailleau sera présent à cette réunion à l'Élysée, avec ses deux collègues Barrot et Darmanin, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, et celui de l'Économie, Éric Lombard, ont rapporté des sources au sein de l'exécutif.

 Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on affirme à l'AFP que si la relance des relations décidée par les deux présidents devait bien aboutir à une reprise des réadmissions, ce serait à mettre au crédit de la « riposte graduée » et du « rapport de force » prônés par Bruno Retailleau.