PARIS: Le Sénat s'est plongé samedi dans l'examen d'une des mesures les plus sensibles du projet de réforme de retraites, la fin de plusieurs régimes spéciaux, alors que la pression monte dans la rue et les entreprises avant la mobilisation du 7 mars.
Electriciens et gaziers, concernés par cette disparition de leur régime, ont débuté dès vendredi une grève reconductible. Elle entraîne des baisses de production d'électricité dans plusieurs centrales nucléaires, l'équivalent de trois réacteurs, sans entraîner de coupures pour les clients.
"Si Emmanuel Macron ne veut pas une France à l'arrêt et une semaine noire dans l'énergie, il vaudrait mieux qu'il retire sa réforme", a prévenu Sébastien Ménesplier, secrétaire général de la CGT Energie.
En tournée en Afrique, le chef de l'Etat a indiqué samedi qu'il n'avait "pas grand-chose de neuf à dire".
La mobilisation du 7 mars à l'appel de l'intersyndicale, contre le report de 62 à 64 ans de l'âge légal de la retraite, s'annonce massive.
De source policière, les services de renseignement attendent entre 1,1 et 1,4 million de manifestants partout en France.
L'intersyndicale se réunira mardi soir pour décider de la suite des événements: "il n’y a pas un gravier entre nous", a assuré à France Inter samedi le secrétaire général de FO Frédéric Souillot. "Il y aura des assemblées générales qui décideront de la reconduction ou non" du mouvement sur les sites en grève.
Le but est d'augmenter la pression sur le gouvernement, "qui n’entend rien", relève le patron des sénateurs socialistes Patrick Kanner sur France 2.
Pourquoi l'exécutif essaye de "passer en force", renchérit sa collègue PS Laurence Rossignol, jugeant, sur France Inter, que "c’est lui quand même qui pousse le mouvement syndical à aller plus loin".
« Ouvrir les yeux »
La gauche occupe largement le terrain au Sénat depuis le coup d'envoi des débats jeudi, tandis que la droite, qui domine la chambre haute et soutient la réforme, est plus discrète - "paresse" dans les rangs, épinglent les écologistes.
"Vous voulez faire de l'obstruction, nous non", a lâché samedi le chef des sénateurs LR Bruno Retailleau.
La gauche a défendu en vain une motion de renvoi en commission, puis des amendements de suppression de l'article 1er du projet gouvernemental, consacré à l'extinction progressive de cinq régimes spéciaux (industries électriques et gazières, RATP, Banque de France, clercs et employés de notaire, membres du Conseil économique, social et environnemental).
Il est ainsi prévu que les agents recrutés à compter de septembre 2023 seront affiliés au régime de droit commun pour l'assurance vieillesse.
Bruno Retailleau souhaite que ces régimes spéciaux soient aussi supprimés pour les salariés actuels, mais sa proposition sera examinée plus tard.
Le gouvernement est contre, et son amendement pourrait être rejeté, faute de soutien des centristes.
Pour la gauche, la fin des régimes spéciaux est "une proposition idéologique et démagogique", qui ne générera pas de gain financier.
"C'est 'peanuts'", a lancé le sénateur communiste Pierre Laurent. Cette suppression "tire vers le bas" tout le monde.
La rapporteure générale Elisabeth Doineau (Union centriste) a rétorqué: les métiers concernés "sont-ils aussi pénibles hier qu'aujourd'hui?". Selon elle, "il faut ouvrir les yeux, on demande des efforts à tous les Français, quels qu'ils soient".
"La majorité sénatoriale est constante dans ses positions", en faveur d'une "convergence" avec le régime général, a aussi fait valoir René-Paul Savary, rapporteur LR de la branche vieillesse, en s'interrogeant sur les trois derniers régimes spéciaux qui ne sont pas concernés par le projet du gouvernement (les marins, l'Opéra de Paris et la Comédie‑Française).
Dans ces trois domaines, les "conditions physiques" imposent le maintien, a répondu le ministre du Travail Olivier Dussopt. Mais pour les autres, les "conditions de travail" ne justifient plus une différence de traitement.
Fermement mais calmement - à la différence des débats à l'Assemblée nationale -, la gauche au Sénat a engagé une longue bataille sur cet article 1er.
Quelque 300 amendements restaient au menu pour la journée de samedi voire dimanche. Selon un vieux routier, "ça va dégorger tout le weekend".