JERUSALEM: La réforme judiciaire promue par le gouvernement israélien, critiquée comme une dérive antilibérale par ses détracteurs, suscite aussi l'inquiétude des milieux économiques et financiers qui mettent en garde contre son potentiel impact négatif sur l'économie de la "start-up nation".
La coalition de droite et d'extrême droite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu tente de faire passer une législation qui donnerait notamment au gouvernement une plus grande influence sur la sélection des juges et limiterait les prérogatives de la Cour suprême, provoquant, depuis l'annonce du texte début janvier, des manifestations massives.
Des personnalités économiques de premier plan, y compris au sein du gouvernement, se sont exprimées contre la réforme et des acteurs de la high-tech, secteur phare de l'économie israélienne, prennent une part importante dans le mouvement de protestation qui dénonce une tentative de l'exécutif de museler le pouvoir judiciaire.
Deux anciens gouverneurs de la Banque d'Israël ont prévenu dans une tribune commune publiée récemment dans le Yedioth Aharonot, quotidien le plus vendu du pays, contre le "coup sévère à l'économie".
D'après Karnit Flug et Jacob Frenkel, il faut "comprendre qu'il existe un lien entre des processus apparemment sans rapport, comme la capacité du système judiciaire à critiquer le gouvernement et la confiance dans l'économie, qui affecte les performances économiques".
Signe, selon des analystes, qu'une crise de confiance est déjà perceptible, le shekel israélien a perdu 7% face au dollar depuis fin janvier. La devise israélienne a accentué son recul après le vote en première lecture, le 21 février, de deux dispositions de la réforme et s'établissait mardi à 3,67 shekels pour un dollar, un plus bas de quatre ans.
Le shekel a également reculé face à l'euro, à 3,90 shekels pour un euro mardi, son plus bas depuis juin 2021.
La Bourse israélienne est également en recul. Le TA-125, l'indice boursier de référence du pays, a chuté de 5,7% en février, une performance en deçà de la moyenne des marchés mondiaux.
«Corruption et incertitude»
"Il existe un lien étroit, mis en lumière par de nombreuses études, entre d'une part, croissance économique et investissements, et d'autre part, système démocratique", explique Omer Moav, professeur d'économie à l'université britannique de Warwick et à l'université Reichman, près de Tel-Aviv.
"Lorsque le pouvoir judiciaire est affaibli et que l'exécutif peut fixer les règles du jeu à sa discrétion, c'est la porte ouverte à la corruption et à l'incertitude, deux repoussoirs pour les investisseurs et les marchés", ajoute-t-il.
"Il n'y a pas encore de données chiffrées sur la baisse des investissements étrangers, qui représentent 85% à 90% des investissements dans la high-tech, mais je ne connais pas une start-up qui parvient à lever des fonds en ce moment", dit Dror Salee un entrepreneur dans les hautes technologies.
"Tout ce que nous avons construit ces 20 à 30 dernières années est en train de s'effondrer", s'alarme ce pilier du "mouvement des high-techistes" qui participe activement aux manifestations.
Il prévoit un "effet boule de neige" en cas d'adoption de la réforme, qui doit encore franchir plusieurs étapes législatives.
Payer le prix
"Les Israéliens, qui vont souvent travailler à l'étranger dans la high-tech pour quelques années, seront plus nombreux à partir et moins nombreux à revenir. Et le secteur perdra son avantage comparatif en terme de capital humain, ce qui nourrira la fuite des investissements", estime-t-il encore.
En Israël, les hautes technologies représentent 15% du PIB et plus de la moitié des exportations.
M. Netanyahu a tenté à plusieurs reprises de dissiper les craintes, présentant la réforme comme une étape nécessaire pour mettre fin aux obstacles juridiques superflus qui gênent l'activité des entreprises, selon lui.
Le Premier ministre, déjà au pouvoir de 1996 à 1999 puis de 2009 à 2021, est considéré comme le père des réformes économiques libérales à l'origine de la solide croissance économique israélienne des deux dernières décennies.
Avant son inculpation pour corruption dans une série d'affaires en 2019, il était pourtant contre cette réforme qu'il porte aujourd'hui, souligne Omer Moav.
"Netanyahu, qui connaît parfaitement le prix économique de la réforme judiciaire, est prêt à le payer pour se sortir de ses démêlés avec la justice", estime M. Moav.