Les tremblements de terre qui ont pulvérisé le sud de la Turquie et le nord de la Syrie le 6 février dernier sont, pour les non-initiés, de simples catastrophes naturelles. Pourtant, surtout en Syrie, l’humanité a préparé le terrain de façon à ce que l’horreur soit décuplée. Malgré des puissants séismes ayant frappé le nord de la Syrie, l’aide d’urgence sur place reste dérisoire. Elle arrive trop tard et en trop petite quantité.
La Syrie est le pays oublié. Les besoins augmentent et l’aide s’amenuise. En décembre, les Syriens ont eu besoin d’aide, comme jamais depuis le début de la guerre civile.
La plupart des décès signalés à l’intérieur de la Syrie concernent les zones du nord-ouest de la Syrie contrôlées par l’opposition. Sur une population de 4,6 millions d’habitants, 4,1 millions avaient besoin d’aide avant les tremblements de terre. Un peu moins du quart de la population syrienne est entassé sur 4% de son territoire. Dans l’ensemble, tous les appels à l’aide restent largement sous-financés. Au total, 15,3 millions de personnes en Syrie avaient besoin d’aide avant les séismes.
Ce ne sont pas là que des chiffres ou des statistiques pour agrémenter les rapports de routine de l’ONU. Dans ces 15 millions de personnes, chacune a une histoire complexe et révélatrice. Désormais, des millions de personnes ont ajouté un chapitre supplémentaire à cette interminable histoire de pertes et de souffrances. Les caméras de télévision partiront, comme elles le font toujours, emportant avec elles toute l’attention brièvement accordée à la région. Haïti, par exemple, se remet toujours de la catastrophe de 2010 qui a tué plus de 300 000 personnes, mais peu en ont conscience.
Mais y a-t-il, ne serait-ce qu’une lueur d’espoir, dans toute cette horreur? Si nous voulons donner un sens aux déclarations grandioses de solidarité avec le peuple syrien, la communauté internationale devra faire un grand pas en avant et faire preuve d’un courage sans précédent.
Premièrement, nous devons cesser de traiter la Syrie comme si elle avait besoin d’une aide humanitaire d’urgence permanente. Il est impossible d’adopter une approche d’intervention d’urgence à court terme lorsqu’il s’agit d’une catastrophe sur le long terme.
Un Syrien m’a dit: «Ils nous traitent comme si nous étions dans une zone sismique depuis douze ans». Les personnes ont besoin de reconstruire leurs vies et leurs maisons, pas seulement d’exister de manière précaire grâce à de l’aide extérieure. Les écoles et les hôpitaux doivent être reconstruits. Les médecins, les infirmières et les enseignants doivent être formés.
Oui, il existe des craintes légitimes que le régime syrien abuse de l’aide humanitaire envoyée en Syrie, mais cela se produit depuis des années. Parallèlement au commerce de Captagon, l’aide internationale est la principale source de devises fortes pour le régime syrien et ses affidés. Arrêtons de prétendre que la situation est difficile pour Bachar al-Assad.
Il faudrait aussi mettre fin à la plaisanterie sur l’aide transfrontalière. Un seul passage frontalier à Bab al-Hawa est insuffisant. Le Conseil de sécurité de l’ONU débat du mécanisme transfrontalier tous les six mois. La prochaine échéance est en juillet.
«L’ONU s’est avérée encombrante et a été freinée par le régime et ses alliés, qui n’ont montré aucun intérêt pour le bien-être des Syriens» - Chris Doyle
L’aide nécessite un accès au territoire, mais l’accès est une question politique dont plusieurs parties ont tiré profit. Cela doit cesser. Des millions de Syriens dépendent totalement du point de passage de Bab al-Hawa. C’est le peuple syrien qui devrait bénéficier de l’aide, même si les diplomates russes à l’ONU continuent d’affirmer que l’aide transfrontalière devrait parvenir au gouvernement syrien à Damas. Il a fallu attendre une semaine entière après le tremblement de terre pour que Damas donne avec regret son consentement à l’ouverture de deux points de passages frontaliers supplémentaires pour une durée de trois mois. On se demande pourquoi le régime syrien n’accepte pas l’ouverture des cinq points de passage frontaliers avec la Turquie et pour une durée plus longue.
La réalité est que l’approbation du Conseil de sécurité de l’ONU n'est pas une exigence absolue pour l’aide transfrontalière. Une assistance peut être fournie sur la base du droit international. La Cour internationale de justice a statué qu’«il ne fait aucun doute que la fourniture d’une aide strictement humanitaire à des personnes ou à des forces se trouvant dans un autre pays, quels que soient leurs affiliations politiques ou leurs objectifs, ne saurait être considérée comme une intervention illicite ou contraire au droit international».
Plutôt que de recourir à l’ONU, les gouvernements individuels, y compris les États-Unis ou les gouvernements européens, pourraient fournir une aide directement. Ils pourraient le faire sans les restrictions auxquelles est confrontée l’ONU et bien plus rapidement. L’ONU s’est avérée encombrante et a été freinée par le régime et ses alliés, qui n’ont montré aucun intérêt pour le bien-être des Syriens.
Une bonne gouvernance est également nécessaire dans le nord-ouest de la Syrie, comme c’est également le cas pour le reste du pays. Aucune autorité souveraine n’existe dans le nord-ouest du pays. Aucun organisme ne peut officiellement demander une aide internationale. Dans tout programme de reconstruction, qui s’assurera que les normes appropriées sont respectées? De nombreuses structures se sont effondrées en raison de constructions sans réglementation. Les résidents locaux ont plus que jamais besoin d’être responsabilisés. Il faut mettre à leur disposition les outils et les moyens nécessaires pour reconstruire en utilisant les matériaux disponibles localement. Cependant, une autorité locale doit s’assurer que cela répond aux normes requises. Des conseils locaux existaient autrefois dans les zones contrôlées par l’opposition, mais les donateurs leur ont retiré leur soutien.
Hayat Tahrir al-Cham (HTS), un groupe qui a publiquement, bien que de manière douteuse, affirmé avoir mis fin à ses liens avec Al-Qaïda, est la puissance dominante à Idlib. Il a été accusé de bloquer l’aide. Ce groupe répressif n’œuvre pas en faveur d’une solution à la crise. Les acteurs qui lui permettent de prospérer doivent subir des pressions pour mettre fin à leur soutien.
La Turquie doit cesser tout soutien à HTS. Les responsables turcs nient toute collusion, mais Ankara peut faire bien plus pour affaiblir le groupe extrémiste si l’intention y est. Une stratégie pour vaincre ou au moins diminuer son pouvoir est essentielle.
Enfin, une réforme des sanctions doit être engagée de la part des États-Unis et l’UE, les principales parties qui imposent des sanctions. Adapter les sanctions ne signifie pas aider systématiquement le régime. En réalité, si elle est gérée de manière responsable et prudente, l’autonomisation des Syriens sur le plan local ôtera le pouvoir à Damas. A l’inverse, une population affaiblie et qui a faim est plus facile à contrôler.
Des sanctions prolongées aident les régime, comme cela a été le cas en Irak, en Iran, à Cuba, en Corée du Nord, en Libye et ailleurs.
Enfin, pour que les vestiges fracturés et démembrés de la Syrie aient un avenir, une solution politique est vitale. L’État doit fonctionner correctement pour une reconstruction et une réhabilitation efficaces. Ce ne sera pas facile, mais il ne faut pas éluder cette étape. Une politique d’inertie parce qu’un régime brutal est toujours en place à Damas ne fait que prolonger sa survie et les souffrances du peuple. La communauté internationale devrait se tourner de nouveau vers un processus politique qu’elle a abandonné depuis longtemps.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com