Le CGRI a-t-il répondu à l’attentat d’Ispahan?

Cette photo fournie par l'Agence de presse de l'Assemblée consultative islamique (ICANA) le 22 janvier 2023, montre le chef du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), Hossein Salami, s'adressant au parlement dans la capitale Téhéran (Photo, ICANA / AFP).
Cette photo fournie par l'Agence de presse de l'Assemblée consultative islamique (ICANA) le 22 janvier 2023, montre le chef du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), Hossein Salami, s'adressant au parlement dans la capitale Téhéran (Photo, ICANA / AFP).
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Publié le Samedi 18 février 2023

Le CGRI a-t-il répondu à l’attentat d’Ispahan?

Le CGRI a-t-il répondu à l’attentat d’Ispahan?
  • «Israël a subi les conséquences douloureuses d’attentats ratés en Iran», a affirmé le porte-parole des Gardiens de la révolution iranienne, sans cependant fournir de détails
  • La période difficile que traverse le régime iranien l’oblige à faire des efforts pour sauver la face, même faussement, devant ses partisans dans le pays et dans la région

Dans une déclaration fracassante à la presse, le général de brigade Ramadan Sharif, porte-parole des Gardiens de la révolution iranienne (CGRI), a déclaré qu’«Israël a subi les conséquences douloureuses d’attentats ratés en Iran (le bombardement d’installations nucléaires d’Ispahan)», préférant ne pas révéler la nature de ces réactions pour le moment. 

Les observateurs s’interrogent sur la véracité de cette déclaration et sur la capacité de l’Iran à faire subir à Israël «des conséquences douloureuses» sans les révéler. 

Les déclarations «enflammées» échangées entre responsables iraniens et israéliens ne sont pas nouvelles, c’est un classique des relations tendues entre les deux rivaux stratégiques. C’est aussi l’un de leurs outils de «survie politique».

Les dirigeants iraniens utilisent les menaces israélienne et américaine pour attirer l’attention sur ce qu’ils considèrent comme «une menace existentielle pour leur pays», sans préciser que l’hostilité extérieure se limite principalement au régime et non à l’Iran et à son peuple. D’un autre côté, pour les élites israéliennes, la menace iranienne est l’un des leviers stratégiques dans la lutte pour l’accès au pouvoir.

Si les menaces mutuelles jusqu’à «l’anéantissement» se poursuivent, surtout du côté iranien, au point qu’un représentant officiel des CRGI commente les attentats terroristes d’Ispahan, il n’existe pas assez de preuves ou de références symboliques pour appuyer son affirmation sur la riposte de l’Iran. On ne peut cependant pas la nier catégoriquement, ni considérer qu’elle ne fait pas partie de la guerre psychologique habituelle entre les deux États. D’autant que ce qui se passe entre les deux parties en secret dépasse de loin ce qui est affiché publiquement.

La majorité des «règles du jeu» actuelles sont obscures et évasives, pour éviter toute responsabilité juridique, par confusion sur les perceptions de l’autre partie ou afin de préserver une marge de manœuvre nécessaire en cas d’une nécessaire escalade du conflit, dans les cas de légitime défense en vertu du droit international.

Le conflit Iran-Israël est devenu traditionnel et non conventionnel (renseignement et cyberattaques). Il s’étend dans les airs, sur terre et sur mer, et les deux parties mènent ce conflit directement ou via des proxys. La plupart des informations sur cette guerre secrète finissent dans les dossiers secrets des services de renseignement et peu sont rendues publiques.

Cela explique que le CGRI se contente des grandes lignes d’une déclaration pour atteindre un objectif politique sans aucune responsabilité concrète derrière.

Le moment est totalement inapproprié pour que l’Iran provoque Israël, qui attend l’occasion d’une escalade, même pour riposter à des actions israéliennes.

Dr. Salem Alketbi

Le régime iranien voit sa confiance ébranlée en raison des protestations populaires en cours dans le pays, de la pression extérieure croissante des sanctions, de l’échec des tentatives de relance de l’accord nucléaire et de la détérioration des relations avec l’Occident, du fait de la position de l’Iran sur la guerre de la Russie en Ukraine. Téhéran se retrouve donc dans une forme d’isolement total.

Ces circonstances obligent le régime à faire des efforts pour sauver la face, même faussement, devant ses partisans dans le pays et dans la région (armées et milices sectaires), après que l’attaque d’Ispahan a révélé la faiblesse sécuritaire du régime iranien. Ceci malgré ses nombreuses revendications de supériorité et de succès militaires que l’on lit quotidiennement dans les médias iraniens.

Il est urgent de rétablir une certaine crédibilité aux yeux des partisans du régime. Ce besoin peut obliger le CGRI, en tant que principal responsable de la sécurité du régime, à déclarer que des représailles ont eu lieu. Il s’agit d’une affirmation générale qui ne donne pas à l’autre partie (Israël) la possibilité de la réfuter. Elle est basée sur des informations manquantes ou inconnues qu’il est difficile de démentir catégoriquement.

C’est d’ailleurs l’une des tactiques du régime iranien pour gagner en crédibilité dans de telles circonstances. Elle donne aussi d’ailleurs à l’autre partie l’occasion d’étouffer l’affaire et de maintenir le gain médiatique de l’attentat d’Ispahan «qui est indirectement attribué à Israël», en menant une politique secrète et ambiguë sur la responsabilité.

Les Israéliens peuvent également déduire de ce message iranien implicite qu’aucune réponse n’est préparée ou envisagée, car la préparation ou la disponibilité pour une réponse ne nécessite pas l’annonce d’une fausse réponse, mais l’attente d’une vraie réponse qui sera plus efficace et crédible.

Pour Israël, cela ne veut pas dire pas que le message contenu dans la déclaration iranienne est trompeur ou destiné à détourner l’attention d’une éventuelle réponse forte. Une telle possibilité est sérieusement envisagée, étant donné l’héritage de tromperie stratégique mutuelle entre les deux adversaires.

La guerre secrète entre l’Iran et Israël rend difficile la vérification de la véracité des affirmations des deux parties.

Ce qui est certain, cependant, c’est que les Iraniens ont soigneusement évité de faire des erreurs d’escalade ouvrant la porte au bombardement de leurs installations nucléaires par le gouvernement du Premier ministre Netanyahou, en étroite coopération avec l’administration Biden.

Le moment est totalement inapproprié pour que l’Iran provoque Israël, qui attend l’occasion d’une escalade, même pour riposter à des actions israéliennes. La question sera donc de savoir dans quelle mesure chaque partie reconnaît l’importance de ses actions. Les deux États ont des critères subjectifs pour juger de leur comportement et de l’impact de leurs actions sur l’autre partie.

Le facteur de dissuasion psychologique est aussi important que l’aspect exécutif, et l’évaluation des déclarations du commandant du CGRI n’attend que les nouveaux faits rendus publics par l’une ou l’autre partie ou l’un d’entre eux venant les confirmer.

La guerre froide secrète entre les deux parties est susceptible de se poursuivre et de s’intensifier afin d’atteindre des objectifs larges et importants, notamment du côté israélien.

 

Dr. Salem Alketbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.