PARIS: Après cinq mois d'un mouvement qui a secoué le régime iranien, les formations d'opposition en Iran et à l'étranger cherchent à grand peine à bâtir l'unité qui leur a toujours fait défaut.
Depuis la révolution de 1979, les opposants au régime de la République islamique chiite se sont autant affrontés entre eux qu'avec les organes du pouvoir à Téhéran. Mais un consensus est aujourd'hui recherché à l'heure de convertir les manifestations en alternative politique.
Les manifestations se raréfient depuis quelques semaines mais certains opposants affirment qu'elles repartiront à la moindre étincelle. La crise est née de la mort en détention de la Kurde iranienne Mahsa Amini, arrêtée pour violation du code vestimentaire très strict imposé aux Iraniennes, donnant lieu à des actions de protestation contre le régime.
Cependant, les manifestants iraniens ont défilé dans les rues de plusieurs villes au cours de la nuit de jeudi à vendredi, dans le cadre de la manifestation la plus importante depuis des semaines, alors que des troubles s'étendent sur plusieurs mois dans ce pays du Moyen-Orient, comme le montrent des vidéos en ligne.
Ces manifestations, qui marquent le 40e jour depuis que l'Iran a exécuté deux hommes accusés d'avoir participé aux manifestations, témoignent de la colère persistante dans le pays. Les manifestations, qui ont débuté le 16 septembre après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, après son arrestation par la police des mœurs du pays, se sont transformées en l'un des plus graves défis à la théocratie iranienne depuis la révolution islamique de 1979.
"Ce qu'il nous faut, c'est un front uni largement inclusif des forces pour la démocratie", explique Arash Azizi, chercheur à l'université de New York.
L'université de Georgetown à Washington a accueilli le 10 février une conférence réunissant des personnalités de l'opposition en exil qui ne s'adressaient pas la parole jusqu'à récemment. Parmi elles, Masih Alinejad, qui milite contre le hijab, Hamed Esmeailion, le porte-parole des proches des victimes du crash de l'avion ukrainien abattu par l'Iran en 2020, et Reza Pahlavi, dont le père était le Shah renversé en 1979.
«Pas de compétition»
Reza Pahlavi a régulièrement assuré ne pas viser le rétablissement de la monarchie mais souhaiter oeuvrer pour un système démocratique séculier. "Aujourd'hui, il n'y a pas de compétition entre nous, nous n'essayons pas de prendre le contrôle de la direction du mouvement", a-t-il insisté au cours de la rencontre.
M. Pahlavi est accusé de ne pas avoir pris assez de distance avec l'autoritarisme paternel, de manquer de transparence sur la fortune familiale et de rester inactif face à l'agressivité des monarchistes sur les réseaux sociaux. Mais son positionnement face aux manifestations lui a valu l'estime du mouvement et les attaques de médias liés au régime en Iran.
"Pahlavi est à l'évidence clivant pour certains comme la plupart des figures politiques en Iran", relève M. Azizi. "Mais il est le visage le plus connu de l'opposition aujourd'hui et il a cristallisé le soutien le plus visible et le mieux organisé, dans et à l'extérieur du pays".
Les intervenants à Washington - rejoints en ligne par le prix Nobel de la paix Shirin Ebadi et l'actrice Golshifteh Farahani - ont planché sur une charte de l'opposition et cherchent à mettre en place un conseil de transition chargé de préparer des élections.
"Ce n'est pas le moment de se jeter à la gorge les uns des autres", résume Shirin Ebadi, attribuant à la désunion du mouvement la longévité d'un régime en place depuis 44 ans.
La Conférence internationale sur la sécurité à Munich ce week-end n'a pas invité d'officiels iraniens mais des membres de la société civile. Les plans des militants en exil ne pèsent pourtant guère sans prise en compte des demandes des manifestants en Iran, qui réclament un changement de régime.
Une nouvelle Constitution
Parmi eux, des personnalités comme l'avocate Nasrin Sotoudeh, le réalisateur Jafar Panahi et le défenseur de la liberté d'expression Hossein Ronaghi, tous récemment libérés de prison, ainsi que Fatemeh Sepheri, une cadre de l'opposition plus conservatrice sur le plan religieux.
Simultanément, Mir Hossein Mousavi, un Premier ministre des années 80, a récemment réclamé des "changements fondamentaux en Iran", via une nouvelle Constitution et des élections.
Mais rien, pour l'heure, ne témoigne d'un affaiblissement du pouvoir de l'ayatollah Ali Khamenei. Et certaines factions de l'opposition restent en dehors de cette coalition naissante, qui tient à distance les Moujahidine du peuple (MEK), déjà actifs contre la monarchie et qui revendiquent un réseau de soutiens important en Iran.
La charte en cours de rédaction devra régler mille difficultés avant de pouvoir être présentée à des responsables étrangers et de convaincre les minorités ethniques iraniennes tout en protégeant l'intégrité territoriale de l'Iran.
"Si une force doit nous unir, c'est de démystifier l'idée selon laquelle nous sommes tellement divisés que nous sommes incapables de travailler ensemble pour la démocratie", a résumé le comédien Nazanin Boniadi.
Le règne du dernier shah Mohammad Reza Pahlavi, aussi marqué par les tortures, les exécutions et l'emprisonnement d'opposants, plombe l'ambiance : des tensions ont émergé sur les réseaux sociaux lorsque Parviz Sabeti, un cadre de la SAVAK (la police secrète du shah), s'est montré à une réunion de l'opposition à Los Angeles le week-end dernier.
Depuis septembre, Téhéran a exécuté quatre personnes et en a arrêté des milliers d'autres dans le cadre de la répression du mouvement. "Les manifestations se sont quelque peu éteintes mais cela ne signifie pas que le peuple n'est plus en colère", a affirmé sur CNN Mme Sotoudeh.