ANTAKYA: "Filmez ici ! Il y a 35 corps ! Les secours sont repartis. Qu'allons-nous faire maintenant ?" Assise près d'un brasero avec d'autres parents dans la ville sinistrée d'Antakya, dans le sud de la Turquie, Selva crie sa frustration.
L'immeuble où sont ensevelis ses proches n'est plus qu'un énorme tas de gravats. Plusieurs équipes de secouristes turques et internationales s'y sont succédé ces derniers jours.
Mais neuf jours après le séisme, aucun signe de vie n'ayant été détecté, toutes en sont reparties.
Pour Selva, un petit bout de femme de 48 ans au visage serré dans un fichu, comme pour ses compagnons d'infortune, la vie se résume désormais à une interminable attente. Dont nul ne sait quand, ni surtout si, elle sera couronnée de succès.
"Les équipes qui sont venues fouiller ici ont clairement expliqué qu'elles recherchaient des vivants. Elles ont travaillé pendant deux jours sans en trouver aucun", se désole Cengiz, un soldat bientôt quinquagénaire dont cinq proches sont enfouis sous les décombres.
"Nous comprenons qu'on privilégie les personnes en vie, mais nous avons le droit de réclamer les dépouilles de nos proches", renchérit Husein, qu'une capuche verte protège du froid. Il espérait retrouver la femme de son frère et leurs quatre enfants. Seul un corps lui a été remis.
Partout dans Antakya, l'une des villes les plus dévastées par le séisme du 6 février, les mêmes scènes se répètent : les personnes endeuillées se regroupent autour d'un feu et attendent, en vain souvent, qu'on leur rende leurs proches.
Autour d'elles, les excavatrices retournent et brassent de gigantesques tas de gravats. Aux moins six personnes ont été sauvées mardi dans les zones turques frappées par le sinistre, notamment un homme et une jeune femme en fin de journée à Antakya, dont l'AFP a assisté à l'extraction.
Mais le nombre de ces survivants s'amenuise de jour en jour, plus de 200 heures après la secousse d'une magnitude de 7,8.
«Personne n'est venu»
Les équipes de secours, après avoir effectué leurs recherches, repartent en abandonnant les sites à la colère générale.
A Kahramanmaras, plus au nord, l'épicentre du séisme, une femme s'indigne qu'aucun secouriste ne s'intéresse aux ruines de l'immeuble sous lequel gisent ses proches : un bébé de vingt jours, sa maman et sa grand-mère.
Lundi, "ils nous ont donné de l'espoir en nous disant que le bébé et sa mère étaient vivants et qu'ils les sortiraient. Mais, aujourd'hui, personne n'est venu !", tempête-t-elle.
Les commentaires dévient contre l'Etat et le gouvernement, accusés d'avoir apporté une réponse tardive, y compris le président Recep Tayyip Erdogan au pouvoir depuis 2003 et qui brigue un nouveau mandat si les élections présidentielle et législatives sont maintenues pour le 14 mai.
Selva, malgré sa frustration, ne masque pas son soutien au chef de l'Etat qui "a beaucoup fait pour nous, même maintenant". Un sentiment partagé par le petit groupe qui l'entoure, dont aucun n'accepte toutefois d'être nommément cité par l'AFP.
Mais alors qu'en ville, de nombreux habitants affirment avoir été abandonnés à eux-mêmes dans les deux jours ayant suivi le sinistre, de nombreuses autres voix se font entendre. Toujours de façon anonyme, de crainte de représailles.
"Nous en sommes arrivés à un point où nous sommes déjà heureux de retrouver des cadavres", se plaint une fonctionnaire qui craint que ses critiques ne lui coûtent son emploi.
"Nous sommes tellement désespérés que c'est tout ce qui nous reste", poursuit cette femme, qui a perdu son frère et sa belle-sœur.