PARIS: La polémique sur la violente évacuation d'un campement de migrants lundi soir à Paris, vient percuter le vote prévu mardi après-midi par l'Assemblée nationale de la proposition de loi controversée sur la « sécurité globale » qui pénalise la diffusion malveillante de l'image des policiers.
Les députés doivent donner leur feu vert, lors d'un vote solennel sur l'ensemble du texte présenté par LREM et son allié Agir mais les images de policiers brutalisant des exilés et un journaliste, viennent apporter de l'eau au moulin de ses opposants et semer le doute chez les marcheurs.
« Les images d'hier (lundi) n'ont pas aidé », relève une source parlementaire LREM. « Je pense qu’on s’achemine vers environ 40 abstentions, par contre très peu de votes contre ».
« Les événements hier (lundi) soir n’ont rien à voir avec la proposition de loi et rien à voir après l’article 24. Mais certains députés veulent envoyer un message ou ne sont pas à l’aise », ajoute cette source.
« Elles servent ces images, vous qui avez voulu leur interdiction », a ironisé la députée LFI Clémentine Autain à l'adresse du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin qui a évoqué dans un tweet des images « choquantes ».
Selon des sources parlementaires, le mécontentement envers Darmanin grandit au sein du groupe LREM et plusieurs députés marcheurs ont publiquement exprimé leur désaccord avec ce texte concocté par Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot mais avec la place Beauvau à la baguette.
« C'est un texte inutile », a dit Caroline Janvier sur France Bleu Orléans. Mustapha Laabid, Nathalie Sarles ou encore Eric Botherel ont également marqué publiquement leur opposition.
L'article 24 du texte a cristallisé passions et antagonismes dans ce texte qui contient également nombre de propositions sur le « continuum de sécurité » avec les polices municipales ou le secteur de la sécurité privée, et une flopée de mesures sécuritaires sur les caméras-piétons.
Pour « protéger ceux qui nous protègent », jetés « en pâture sur les réseaux sociaux », la majorité souhaite pénaliser d'un an de prison et 45 000 euros d'amende la diffusion de « l'image du visage ou tout autre élément d'identification » de membres des forces de l'ordre en intervention, quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ». Une mesure plébiscitée par les syndicats policiers.
Mais qui suscite une levée de boucliers à gauche et chez les défenseurs des libertés publiques qui y ont vu « une atteinte disproportionnée » à la liberté d'informer et le signe d'une nouvelle dérive autoritaire de la Macronie.
Petite musique
Des déclarations tous azimuts du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, plaidant pour un floutage des forces de l'ordre ou pour l'accréditation obligatoire des journalistes devant couvrir une manifestation, avant de se raviser, n'ont rien arrangé à l'affaire.
Si bien que gouvernement et majorité ont voulu déminer la controverse en réécrivant l'article incriminé.
Au bout de quatre heures de débats âpres et denses, l'Assemblée nationale a finalement adopté par 146 voix contre 24 la mesure qui spécifie dorénavant que le futur délit ne peut porter « préjudice au droit d'informer » et que l'intention malveillante contre les forces de l'ordre doit être « manifeste ».
La disposition a reçu le soutien des LR. Le vote a, en revanche, divisé le Modem.
Les garanties votées par la majorité sont-elles pour autant suffisantes pour apporter la « clarté » revendiquée par le chef de file des députés LREM Christophe Castaner ?
A gauche, la réponse est sans surprise. S'il accédait à l'Elysée en 2022, Jean-Luc Mélenchon (LFI) abrogerait la proposition de loi « sécurité globale ».
Des personnalités de la société civile et des milliers d'opposants ayant manifesté samedi dans toute la France, réclame le retrait d'un texte jugé « liberticide ».
Même Bruxelles fait les gros yeux. La Commission européenne a rappelé lundi que les journalistes devaient pouvoir « faire leur travail librement et en toute sécurité ».
Le garde des Sceaux a également fait entendre une « petite musique » dissonante.
« Il y a des discussions au sein du gouvernement. Il n'est pas question d'interdire à des journalistes de filmer » et « il faut qu'on trouve un certain nombre d'équilibres », a dit dimanche Eric Dupond-Moretti sur BFMTV.
Pour le sénateur LR Philippe Bas, le futur délit est « inapplicable et inconstitutionnel ». Et d'annoncer : « le Sénat devra le corriger ».
Le texte pourrait être examiné par le Palais du Luxembourg en janvier en première lecture.