CASABLANCA: Rachida, mère célibataire de 42 ans, vient de s’inscrire cette semaine à l'Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (Anapec), l’équivalent de Pôle emploi en France. En arrêt de travail depuis avril 2020, Rachida a survécu jusqu’à maintenant grâce à la générosité de sa famille et de ses proches. Expulsée de son logement pour ne pas avoir payé son loyer pendant cinq mois, elle s’est installée, avec ses deux enfants, chez sa sœur dans un quartier périphérique de Casablanca, la capitale économique du Maroc. Comme Rachida, des milliers de Marocaines ont basculé, à cause de la crise économique liée à la Covid-19, dans la précarité et la pauvreté.
Un chômage qui frappe davantage les femmes
Si la vulnérabilité des femmes marocaines ne date pas d’aujourd’hui, la crise économique n’a fait qu’aggraver cette situation, en particulier sur le marché du travail. Selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat au plan (HCP), si le taux de chômage est passé de 9,4 % à 12,7 % au 3e trimestre 2020 au niveau national, il a enregistré une forte hausse parmi les femmes, de 13,9 % à 17,6 %. En milieu urbain, le taux de chômage des femmes est quasiment le double de celui des hommes. Plus frappant, l’écart entre hommes et femmes en termes de taux d’activité a atteint 52,1 points à fin septembre 2020, avec des taux d’activité respectifs de 69,9 % et de 17,8 %.
Une situation qui indigne notamment les associations de défense des droits des femmes. Samira Achour, membre de l'association Jossour Forum des femmes marocaines (Jossour FFM), une ONG qui bataille depuis 1995 pour une société marocaine plus égalitaire, affirme, pour Arab News, une aggravation de la vulnérabilité et de la précarité des femmes à cause de la Covid-19. «Cette pandémie a creusé le fossé des inégalités systémiques entre les hommes et les femmes au Maroc, une situation qui ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui. En dix mois, la crise de la Covid-19 a prouvé qu’il est indispensable d’adopter une politique sociale égalitaire harmonisée qui garantisse la cohésion sociale et intergénérationnelle avec des systèmes de protection sociale alignés sur le cadre des droits humains qui offrent la meilleure approche holistique reliant les questions sociales, politiques, économiques, culturelles et civiles», explique Samira Achour.
Précarité, inégalités économiques et violence
Outre les inégalités économiques, plusieurs femmes ont été confrontées à d’autres contraintes liées à cette crise, à commencer par l’augmentation des responsabilités au sein du foyer, notamment à cause de la multiplicité des tâches quotidiennes et l’augmentation des violences, surtout en période de confinement. Un numéro vert, le 8350, a d’ailleurs été lancé par l'Union nationale des femmes du Maroc pour alerter sur les violences faites aux femmes. Si, pour le moment, nous ne disposons pas de chiffres précis sur le nombre de plaintes et de réclamations reçues par cette plate-forme, plusieurs ONG marocaines ont alerté sur la recrudescence des formes de violence à l’égard des femmes en période de confinement. Une situation qui en aurait poussé plusieurs à vouloir se séparer de leurs conjoints, comme le démontre l’évolution du nombre des dépôts de requête de divorce auprès des tribunaux marocains, qui a explosé durant le déconfinement.
Recrudescence du taux de divorce
Rien qu’au tribunal de la famille de Casablanca, près de 200 dossiers ont été déposés quotidiennement pour des procédures de divorce judiciaire depuis le 15 juillet, date à laquelle les dépôts des requêtes ont été de nouveau autorisés. Pour les divorces à l’amiable, le tribunal a reçu 180 dossiers chaque semaine. Cela représente une hausse de 20 à 30 % par rapport à la même période l’année dernière révèle Kenza Mansouri, avocate spécialisée en droit de la famille. Une évolution à nuancer puisque les activités judiciaires avaient été suspendues pendant trois mois. Toutefois, «ce qui m’a marqué le plus après le confinement, c’est la recrudescence incroyable de femmes mariées depuis quarante ou cinquante ans qui souhaitent divorcer. C’est du jamais vu au Maroc», observe Kenza Mansouri.
Malgré les grandes avancées du Royaume en matière de rétablissement des droits des femmes, notamment grâce à un Code de la famille révolutionnaire, les femmes marocaines souffrent encore de vulnérabilité et de marginalisation. «L’État devrait continuer à mettre en place des politiques proactives et des réformes institutionnelles qui prennent en considération les inégalités et leurs retombées sociales et économiques qui creusent le fossé sociétal et du genre, en particulier pour les personnes défavorisées et marginalisées», souligne Samira Achour.