PARIS: Le report de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, contesté par les syndicats et l'essentiel des oppositions, "n'est plus négociable", a affirmé Elisabeth Borne dimanche, à la veille du début de l'examen du projet en commission à l'Assemblée.
"Ca n'est plus négociable, la retraite à 64 ans et l'accélération (de l'allongement de la durée de cotisation, ndlr) de la réforme Touraine", a affirmé sur franceinfo la Première ministre: "C'est le compromis que nous avons proposé après avoir entendu les organisations patronales et syndicales, après avoir échangé avec les différents groupes parlementaires (...) C'est nécessaire pour assurer l'équilibre du système".
"Si on n'avait qu'un seul paramètre, alors ça ne serait pas 43 ans de cotisation et 64 ans pour pouvoir partir à la retraite, ça pourrait être 45 ans de durée de cotisation, ce qui nous semble impossible de demander aux Français", plaide-t-elle dans cet entretien réalisé samedi, en marge d'un déplacement dans la circonscription du Calvados dont elle a été élue députée.
Retraites: de retour dans la rue mardi, les syndicats veulent frapper plus fort
Galvanisés par le succès de leur première mobilisation contre la réforme des retraites, les syndicats appellent à de nouvelles manifestations partout en France mardi et menacent de grèves en février, mais la Première ministre s'est montrée ferme dimanche sur le report de l'âge de départ à 64 ans: il n'est "plus négociable".
La jauge fera-t-elle la loi ? Après leur tour de force du 19 janvier (1,12 million de manifestants selon Beauvau, plus de deux millions d'après les organisateurs) les huit principaux syndicats français ont appelé "à se mobiliser encore plus massivement le 31".
«Barre placée haut»
Un effet de masse espéré pour venir à bout d'une "réforme injuste" et de sa mesure-phare: le report de l'âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans.
Mais après cette première journée réussie, "la barre a été placée haut", note le politologue Dominique Adolfatto, et les syndicats "ne peuvent pas se permettre un faux pas".
Ces derniers se montrent plutôt confiants. "Nous sommes bien partis pour être plus nombreux", assure ainsi Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Espoir conforté par des sondages attestant d'un rejet croissant de la réforme dans l'opinion.
"La population est très défavorable au projet et cet avis tend à prendre de l'ampleur", constate aussi le numéro un de la CFDT, Laurent Berger. Qui met en garde l'exécutif: ne pas tenir compte des mobilisations "serait une faute".
En réponse à cette défiance grandissante, la majorité tente de faire de la "pédagogie".
Dans sa circonscription du Calvados, la Première ministre Elisabeth Borne a déploré la "désinformation", tandis que la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa et la cheffe de file des députés Renaissance, Aurore Bergé ont défendu dans le JDD une réforme qui "apporte des réponses utiles" aux femmes précaires.
Dans un entretien à franceinfo diffusé dimanche matin, la cheffe du gouvernement se montre ouverte à une discussion sur une meilleure utilisation des trimestres "éducation" et "maternité" obtenus par les femmes au cours de leurs carrières.
Pour autant, le report de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans "n'est plus négociable", insiste-t-elle.
Si le LFI Jean-Luc Mélenchon a suggéré samedi aux syndicats d'organiser prochainement une "très grande marche" un weekend, c'est dès ce mardi que la participation sera scrutée dans les nombreux rassemblements (plus de 200) prévus. A Paris, le parcours doit cette fois-ci s'achever aux Invalides, tout près de l'Assemblée nationale, où l'examen du projet de loi aura débuté lundi en commission.
Grèves à répétition
Plus de 7.000 amendements ont été déposés, essentiellement par la gauche qui entend faire durer les débats, tandis que la droite cherche à faire monter les enchères, consciente que ses voix seront cruciales pour adopter la réforme. Le gouvernement doit en outre composer avec sa propre majorité, où beaucoup réclament des améliorations et certains renâclent à voter le texte.
Des tensions exacerbées par le risque de grèves à répétition. Mardi, des perturbations sont attendues dans les transports en commun, en particulier à la SNCF et à la RATP.
Des fermetures de classes, voire d'écoles, sont aussi à prévoir, le taux de grévistes chez les enseignants de primaire devant être connu lundi.
Mais la suite du mouvement reste incertaine. Du côté de la CGT, certaines fédérations poussent pour un durcissement. De nouvelles grèves sont déjà annoncées dans les ports, raffineries et centrales électriques à partir du 6 février.
Chez les cheminots, ce sera le 7 et le 8, prélude à un préavis reconductible "dès la mi-février", ont prévenu la CGT et SUD. En plein pendant les vacances d'hiver et son grand weekend de chassé-croisé du 18-19.
Mais la CFDT préfère "garder l'opinion" de son côté. "Le niveau d'efficacité syndicale ne se mesure pas au niveau d'emmerdements concrets pour les citoyens", explique M. Berger, qui ne veut pas non plus multiplier les journées d'action "car de nombreux travailleurs ne peuvent pas tenir sur un rythme aussi intense".
"Une ou deux démonstrations de force" supplémentaires suffiront selon lui à faire entendre raison à l'exécutif. Reste à en convaincre les autres leaders syndicaux, qui se réuniront mardi soir au siège de Force ouvrière.
La cheffe du gouvernement se montre ouverte, en revanche, à une discussion au Parlement sur une meilleure utilisation des trimestres "éducation" et "maternité" obtenus par les femmes au cours de leurs carrières.
"Dès aujourd'hui, il y a beaucoup de femmes qui ne peuvent pas les utiliser à plein, on est en train d'analyser la situation de ces femmes qui (...) pourraient ne pas les utiliser à plein demain, donc cette analyse est en cours.
Retraites: la réforme percutée par les promesses déçues de la «valeur travail»
"En profiter le plus longtemps possible". Au travers du profond attachement que les opposants à la réforme vouent au temps de la retraite se dessine en creux la relation abîmée qu'entretiennent les Français avec la "valeur travail", jugent des sociologues, experts et travailleurs.
Une opposition à la réforme qui grandit selon les sondages et un gouvernement qui patine sur sa "pédagogie", avant le 2e round organisé dans la rue par les syndicats, l'exécutif n'a pas encore trouvé la formule magique pour convaincre les Français du bien-fondé de son projet.
Mission impossible? Avec le report de deux ans de l'âge légal, la réforme vient heurter le droit à "une retraite avant l'arthrite" comme le proclamaient les pancartes du 19 janvier, au nom d'une "valeur travail" promue par Emmanuel Macron, à laquelle un nombre croissant de Français paraît ne plus donner crédit.
"Nous sommes en présence d'une dynamique collective qui dépasse de beaucoup la simple question des retraites et qui traduit une crise politique plus générale - défiance vis-à-vis des gouvernements, sentiment général d'injustice - sans doute accompagnée d'une forme d'anesthésie par rapport à la situation des finances publiques", analysait l'Institut Montaigne, un think tank d'inspiration libérale, mi-janvier.
Pour le politologue Jérôme Fourquet, Emmanuel Macron "n'est plus en phase" avec une partie des Français dont le rapport au travail a changé.
"Les Français passent moins de temps au travail dans l'année, les 35 heures sont passées par là (...) Et le rapport que les Français entretiennent avec ce monde du travail a aussi évolué: plus de pression, un management très descendant, une perte de sens...", décryptait M. Fourquet sur France Inter à la veille de la première journée de mobilisation.
Selon l'Ifop si, en 1990, 60% des sondés répondaient que le travail était "très important" dans leur vie, ils ne sont plus que 24% aujourd'hui à faire cette réponse, soit un recul de 36 points en 30 ans.
"Rendre le travail soutenable est un préalable indispensable à toute réforme des retraites", juge la sociologue Dominique Méda dans Le Monde, samedi.
Au travail, "les Français connaissent beaucoup de déceptions et de frustrations", observe la directrice de recherche au CNRS Danièle Linhart. Une souffrance au travail à laquelle contribue l'individualisation de la gestion des salariés, selon la sociologue.
la liberté, un horizon de la retraite
La dégradation des conditions de travail s'explique aussi, selon le sociologue Marc Loriol, par l'intensification du travail, la mise en avant de critères de rentabilité, l'accroissement de la pénibilité, autant de critères produisant un "sentiment de perte de sens".
A l'inverse, la retraite reste fantasmée pour beaucoup comme un moment de "liberté", complète M. Loriol. Mais si s'inventer une nouvelle vie n'est déjà pas accessible pour tous, "avec le recul de l'âge de la retraite à 64 ans, ça sera encore plus difficile", explique le sociologue, qui mentionne l'isolement, les problèmes de santé et la précarité comme autant d'obstacles à une meilleure qualité de vie au moment de la retraite.
En écho, dans les cortèges du 19 janvier, Gonzalo Martinez, 26 ans, évoquait ses collègues d'usine de 62 ans: "Qu'est-ce qu'il leur reste, de retraite? Ils sont physiquement cassés, mentalement cassés…"
"Tout a changé, je ne crois plus à ce que je fais, j'étais enthousiaste quand je suis rentré dedans mais je ne le suis plus", déplorait Olivier, 61 ans, directeur d'école dans les Yvelines.
"Pour moi la retraite, c'est le repos! Ne plus avoir d'impératifs", espérait Alain, 54 ans, métallier-soudeur qui rentre dans la catégorie "carrière longue". "Au bout de 43, 44 ans où toute la vie tourne autour du travail, il faut que ça s'arrête."
Selon une enquête du service statistique des ministères sociaux de 2022, une part toujours plus importante des nouveaux retraités (8 sur 10) y affirmaient que leur motivation N°1 au moment de faire valoir leurs droits était de "profiter de la retraite le plus longtemps possible".
Interrogés sur les motifs de départ liés au travail, un peu plus d'un tiers avançaient des problèmes de santé rendant le travail difficile, et la même proportion invoquaient des "conditions de travail non satisfaisantes".
Les députés s'emparent lundi en commission du très contesté projet de réforme des retraites, pour un galop d'essai sur 7.000 amendements, sous l'oeil des opposants qui organisent mardi un temps fort de mobilisation dans la rue.
Dans un entretien au Parisien samedi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dénonce "le profond mépris de la valeur travail" d'une partie de la gauche, qu'il accuse de chercher "à bordéliser le pays".