COPENHAGUE: Jihadiste ou espion sous couverture? La justice espagnole a tranché pour la première alternative, mais, depuis sa prison au Danemark, Ahmed Samsam ne cesse de clamer son innocence, affirmant avoir été lâché par les renseignements de son pays.
L'affaire suscite l'embarras croissant des services danois et jusqu'au gouvernement, qui rejette pour l'instant les appels à une commission d'enquête sur fond d'importante mobilisation médiatique.
L'intéressé, lui, est formel: lors de séjours en Syrie en 2013 et 2014, il travaillait pour les services secrets (PET) puis le renseignement militaire (FE) danois, qu'il informait sur les combattants jihadistes étrangers.
Ahmed Samsam, un Danois de 34 ans d'origine syrienne au casier judiciaire bien étoffé, n'a jamais rejoint l'organisation État islamique, ont affirmé plusieurs contre-enquêtes des médias danois.
En 2012, le jeune Danois d'origine syrienne part effectivement de son propre chef en Syrie, pour combattre le régime de Bachar al-Assad.
A son retour, la justice danoise s'intéresse à son séjour mais l'affaire est classée sans suite. Il est alors envoyé à plusieurs reprises dans la zone de guerre avec de l'argent et de l'équipement fourni par PET puis FE, selon les médias DR et Berlingske, qui s'appuient sur des témoignages anonymes et des preuves de virements bancaires.
En 2017, menacé par des délinquants à Copenhague dans une affaire de règlements de compte indépendante de ses voyages en Syrie, le jeune homme part se mettre au vert en Espagne.
Mais il est arrêté par la police espagnole qui s'étonne de trouver des photos de lui avec le drapeau de l'EI sur Facebook.
Ahmed Samsam est condamné à l'année suivante à huit ans d'emprisonnement pour appartenance à l'organisation Etat islamique.
"Quand il a été arrêté en Espagne en 2017, il était 100% convaincu d'être aidé par les autorités danoises", explique pour sa part son avocat, Erbil Kaya.
Mais aucune déclaration danoise en sa faveur n'intervient.
"C'est très difficile de prouver que vous avez été agent, ce n'est pas comme s'il avait une fiche de paie ou un contrat", tempête Me Kaya.
Depuis 2020, Ahmed Samsam purge sa peine, réduite à six ans, au Danemark.
L'an dernier, il a porté plainte contre les services de renseignement pour qu'ils reconnaissent ses états de service. Le procès est prévu en août.
"C'est très rare d'abandonner un agent à une longue peine de prison", souligne Magnus Ranstorp, directeur de recherches à l'Université de Défense en Suède.
Selon cet expert des dossiers terroristes, le fait que le jeune homme se soit fait arrêter en Espagne a pu compliquer la donne.
"Les renseignements préféreraient balayer ça sous le tapis. Ce sont des choses qui ne peuvent pas être exposées au tribunal", explique l'expert suédois.
"Même si l'agent n'est plus utile, il ne faut pas normalement qu'il attire l'attention", ajoute-t-il.
«Notre "Affaire Dreyfus"»
Si pendant la récente campagne des législatives, l'ensemble de la classe politique était favorable à l'établissement d'une commission d'enquête, le nouveau gouvernement a finalement rejeté l'idée le mois dernier.
"Pour protéger notre société et la démocratie ouverte, il est indispensable que tout ce qui concerne les services de renseignements ne soit pas dévoilé au grand jour", affirme à l'AFP le ministère de la Justice.
Pour l'avocat du détenu, la position gouvernementale est "incompréhensible".
Ahmed Samsam "a l'impression que les autorités ne veulent pas l'aider mais font tout pour bloquer la vérité", déplore-t-il.
"La vérité sortira un jour et je pense que cette affaire sera appelée notre +affaire Dreyfus+".
En prison, le détenu a récemment mené une grève de la faim pendant une semaine pour protester contre "les conditions inhumaines de son incarcération".
Fin décembre, les services de renseignement ont publié un communiqué conjoint rappelant ne jamais révéler l'identité de leurs indicateurs "tant pour la sécurité des sources elles-mêmes que pour l'exécution des tâches des services".
Le statut d'indicateur ou d'agent n'empêche pas non plus la condamnation en cas d'illégalité, soulignent-ils.
"+Nier, nier, nier !+ c'est la règle d'or de ces services. On ne parle jamais ni des sources ni des méthodes", insiste M. Ranstorp. "Evidemment l'affaire abîme leur réputation mais ils vont y survivre".
Le dossier n'a pas fini de faire parler de lui.
Au Parlement, plusieurs partis de l'opposition demandent toujours la mise en place d'une commission et un film est en préparation.