DUBAÏ: La promotion des valeurs de fraternité humaine devrait inclure l’autonomisation des femmes, explique Epsy Campbell Barr, ancienne vice-présidente du Costa Rica et membre du jury du prix Zayed pour la fraternité humaine cette année.
«Nous avons besoin de plus de compréhension entre les sexes afin de construire un monde meilleur», déclare-t-elle à Arab News à l’approche de la cérémonie de remise des prix, qui devrait se tenir le 4 février. «Il est impossible de le faire sans l’inclusion des femmes.»
«C’est ici que le message de fraternité humaine prend tout son sens: par la promotion de l’égalité et de la non-discrimination.»
Le prix Zayed pour la fraternité humaine a été créé afin de consolider la rencontre historique entre le pape François et Ahmed el-Tayeb, le grand imam d’Al-Azhar, à Abu Dhabi le 4 février 2019.
Leur rencontre, qui marque la toute première visite papale dans la péninsule Arabique, a abouti à la cosignature du Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, également connu sous le nom de «déclaration d’Abu Dhabi».
Il est né d’une discussion fraternelle entre les deux chefs religieux dans le but d’inciter les autres à promouvoir une «culture de respect mutuel». Pour le pape François, «ce n’est pas un simple geste diplomatique, mais plutôt une réflexion qui découle d’un dialogue et d'un engagement commun».
La déclaration d’Abu Dhabi a conduit à la création du Comité supérieur pour la fraternité humaine et du prix Zayed, sous le patronage de cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane, qui était alors le prince héritier d’Abu Dhabi. Aujourd’hui, il est l’émir d’Abu Dhabi et le président des Émirats arabes unis (EAU).
Le prix, dont c’est la quatrième édition, porte le nom du père de cheikh Mohammed, feu cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane, le fondateur des EAU.
Epsy Campbell Barr, qui était en poste au Costa Rica de mai 2018 à mai 2022, est la première femme d’origine africaine à occuper le poste de vice-présidente en Amérique latine. Par ailleurs, elle faisait partie des cent personnes d’origine africaine les plus influentes en 2021.
En tant qu’économiste et politicienne de longue date, elle estime que la pleine mise en œuvre du Document sur la fraternité humaine peut aider à promouvoir l’autonomisation politique, sociale et économique des femmes et des filles.
«Nous devons construire des ponts», affirme-t-elle. «Lorsque nous pensons à l’autonomisation économique des femmes, nous devons nous assurer que nous pouvons établir un dialogue avec le secteur financier pour offrir aux femmes des financements pour leurs idées d’entrepreneuriat et avoir le sens de la fraternité humaine dans les dialogues politiques.»
«L’argent devrait être mis entre les mains des femmes, car nous savons que cela ne changera pas seulement leur vie, mais aussi celle de la communauté qui les entoure et, éventuellement, du pays.»
Les propos d’Epsy Campbell Barr interviennent alors que les droits des femmes et des filles sont bafoués dans de nombreuses régions du monde. Par ailleurs, les effets économiques de la pandémie de Covid-19 et les pressions inflationnistes qui résultent de la guerre en Ukraine leur incombent de manière disproportionnée.
Les atteintes aux libertés des femmes ne sont nulle part aussi flagrantes qu’en Afghanistan, où les talibans, qui ont repris le pouvoir en août 2021, ont bloqué l’accès des filles à l’enseignement secondaire. Plus récemment, ils leur ont également interdit d’étudier à l’université.
Selon la Banque mondiale, bien que les femmes représentent la moitié de la population dans le monde, elles contribuent à peine à 37% au produit intérieur brut mondial. L’institution a déclaré que le PIB mondial pourrait augmenter de 26% si l’écart entre les hommes et les femmes dans la population active était comblé.
«Nous devons changer d’avis et coopérer», ajoute l’ancienne vice-présidente du Costa Rica. «Le message du document peut être utile pour les questions sociales, économiques et environnementales. Nous devons utiliser l’accord de fraternité humaine comme un outil de dialogue général pour un consensus en faveur d’un monde nouveau.»
EN BREF
Le 4-Février est désormais la Journée internationale de la fraternité humaine en l’honneur de la signature du Document sur la fraternité humaine par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed el-Tayeb, à Abu Dhabi, ce jour-là en 2019.
Le prix Zayed pour la fraternité humaine est une distinction internationale indépendante présentée par le Comité supérieur pour la fraternité humaine. Il a été lancé pour rendre hommage à ceux qui apportent une profonde contribution au progrès humain et à la coexistence pacifique.
Les lauréats reçoivent un million de dollars (1 dollar = 0,92 euro) pour soutenir leurs efforts et financer la poursuite de leur travail en vue de faire progresser la fraternité humaine, collaborer au-delà des divisions et mettre en place de véritables progrès.
En 2021, le prix a été attribué conjointement à Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, et à l’activiste franco-marocaine Latifa Ibn Ziaten, fondatrice de l’association Imad pour la jeunesse et la paix, qui, après avoir perdu son fils, assassiné par un terroriste, a mis sa douleur au service d’un programme de sensibilisation destiné aux jeunes.
Le prix 2022 a été décerné au roi Abdallah de Jordanie et à son épouse, la reine Rania, «en reconnaissance de leurs efforts pour promouvoir la fraternité humaine, le respect mutuel et la coexistence pacifique», et à la Fondation connaissance et liberté, une organisation humanitaire haïtienne.
Le pape François a accueilli le comité de sélection de l’édition 2023 au Vatican le 9 janvier pour discuter de l’importance de ce prix dans la promotion de la fraternité humaine à l’échelle mondiale, y compris en ce qui concerne la protection des droits des femmes.
Le pape François, lui-même récipiendaire honoraire du prix en 2019 avec cheikh El-Tayeb, a déclaré aux membres du jury: «Votre travail est important pour véhiculer le message de la fraternité humaine.»
Il a également mis l’accent sur l’importance du prix mondial pour l’humanité et a exhorté le comité à jouer son rôle afin de promouvoir les droits des femmes.
«Il est indispensable que vous défendiez la dignité des femmes dans votre travail, puisque les droits des femmes sont souvent inscrits sur papier, mais ne sont pas respectés dans la vraie vie», a-t-il souligné.
Outre Epsy Campbell Barr, le jury de cette année comprend Miguel Angel Moratinos, sous-secrétaire général de l’ONU et Haut-Représentant des nations unies pour l’Alliance des civilisations, ainsi que le cardinal Luis Antonio Tagle, prélat philippin de l’Église catholique et préfet du dicastère pour l’évangélisation.
On compte également parmi les jurés le militant des droits de l’enfant et lauréat du prix Nobel 2014 Kailash Satyarthi, l’entrepreneure et lauréate du prix Nobel 2015 Wided Bouchamaoui, ainsi que Mohamed Abdelsalam, secrétaire général du prix Zayed pour la fraternité humaine et du Conseil des sages musulmans.
Avant la réunion du comité au Vatican, M. Satyarthi avait affirmé être à la recherche d’un candidat qui aurait «la compassion nécessaire pour apporter des changements durables à la société, puisque nous avons besoin d’actions fortes et d’idées audacieuses pour créer un monde beau, plus juste et plus équitable».
M. Abdelsalam soutient que le prix a été conçu pour promouvoir la compréhension et le respect entre tous les peuples: «C’est pour cette raison que le prix vise à mettre en lumière les individus et les organisations qui ont une incidence sur le long terme et qui établissent un cadre pour des initiatives et des idées qui favorisent le développement d’une communauté humaine mondiale plus harmonieuse.»
Epsy Campbell Barr indique que la fraternité humaine «est une entente entre les peuples, entre les civilisations. C’est une nouvelle idéologie qui consiste à mettre l’accent sur ce que nous avons en commun plutôt que sur nos différences».
«Il s’agit de mettre en place une société basée sur la paix et le respect mutuels. Nous nous concentrons depuis trop longtemps sur ce qui nous rend différents. Les accords peuvent changer des vies, des organisations et des pays. C'est le moyen de construire un nouveau monde. Nous devons construire des ponts et nous comprendre les uns les autres», confie-t-elle.
Ce qu’elle recherche chez un candidat est la compassion, l’engagement, le respect et la manifestation de la fraternité humaine.
«Je cherche la personne qui promeut le dialogue», explique-t-elle à Arab News. «Le prix n’est pas un objectif en soi, mais plutôt un outil pour appliquer le concept de fraternité humaine.»
«Nous devons construire des ponts, ce que privilégie un dialogue politique et un sentiment de fraternité. Il faudrait préférer la coopération à la rivalité.»
Elle souligne que, au cours de sa carrière politique, elle a dû surmonter plusieurs obstacles. Elle est cependant fière d’avoir pu servir ses compatriotes costaricains, autonomiser les communautés et faire la différence.
«J’ai eu la chance d’être vice-présidente de mon pays. Cependant, je sens que je ne l’ai pas fait uniquement pour le Costa Rica, mais pour toutes les filles et les femmes du monde, afin de leur montrer qu’elles peuvent concrétiser toutes leurs ambitions», insiste-t-elle.
«Le leadership des femmes est différent de celui des hommes. Nous le faisons avec plus d’amour, nous sommes plus coopératives que compétitives.»
Avant tout, Epsy Campbell Barr considère que le pouvoir politique doit être utilisé pour soulager les souffrances de ceux qui sont moins fortunés et qui ont moins de possibilités que les plus nantis au sein des sociétés.
«C’est très important d’utiliser sa voix pour inspirer les gens», note-t-elle. «Et lorsqu’on occupe un poste politique décisif, il faut redoubler d’efforts.»
L’identité de la personnalité qui remportera le prix Zayed pour la fraternité humaine 2023 sera révélée le 4 février, une date qui coïncide avec la Journée internationale de la fraternité humaine, reconnue par l’ONU.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com