PARIS: Un silence lourd à une extrémité du box, une longue diatribe contre la "justice partiale" à l'autre. Deux hommes radicalisés, interpellés à cinq jours de la présidentielle de 2017 pour un projet d'attentat "imminent", ont marqué jeudi leurs différences à l'ouverture de leur procès.
Clément Baur, 29 ans, et Mahiedine Merabet, 35 ans, vont répondre pendant quatre semaines devant la cour d'assises spéciale de Paris de ce projet d'attaque, déjoué avec leur arrestation le 18 avril 2017 à Marseille et la saisie notamment de quatre armes et d'explosifs.
Dix autres hommes ont été renvoyés à leurs côtés, accusés de les avoir aidés à se procurer les armes, un fusil-mitrailleur et trois pistolets automatiques. L'un des accusés, un Tchétchène de 30 ans absent à l'audience sans "excuse valable", sera jugé par défaut.
Après quatre ans d'investigations, des mystères demeurent sur les cibles envisagées par le duo, mais également sur ce qui a pu pousser Clément Baur et Mahiedine Merabet, codétenus quelques semaines en 2015, à s'associer.
Clément Baur, converti à l'islam à l'adolescence et as de la dissimulation qui s'est longtemps fait passer pour un réfugié du Caucase, a passé les premières heures de son procès la tête baissée dans le box. Avare de mots, il ne consent qu'à décliner, d'un maigre filet de voix, son identité.
De l'autre côté du box, Mahiedine Merabet, délinquant multirécidiviste, semble avoir plein de choses à dire. Quand la cour l'invite à faire une déclaration liminaire, il brandit une liasse de feuilles et demande à l'utiliser pour mieux "structurer (ses) pensées".
Apparences trompeuses
Chemise blanche et barbe finement taillée, il lit derrière ses lunettes son texte, dans lequel il explique notamment avoir "décidé de prendre le dur chemin de la franchise", même s'il "se peut que la vérité dérange".
"Je dois vous faire un terrible aveu, je n'ai aucune confiance en la justice de mon pays", surtout "quand entrent en jeu les questions relatives à la politique, à l'idéologie et à la guerre", déclare Mahiedine Merabet.
De la même voix hachée, il s'en prend ensuite aux "apparences trompeuses", au "concept fumeux de terrorisme" et à "l'islamophobie dont il est question dans ce procès".
"Moi, Mahiedine Merabet, me considère de fait comme un prisonnier politique musulman. Je n'ai que peu d'illusions quant à l'issue de ce procès et me réserve de peu y participer ou de la manière que je trouverai la plus appropriée", conclut-il après une dizaine de minutes.
Entendu à sa suite, un expert psychologue qui l'a examiné souligne avoir été frappé par le "narcissisme" de Mahiedine Merabet.
Maltraité dans sa toute petite-enfance par sa mère, confié à ses grands-parents puis placé dans divers foyers, l'accusé a connu un parcours semé d'embûches et plusieurs incarcérations.
Dans la soirée, Mahiedine Merabet s'est abstenu de répondre à l'essentiel des questions sur ce parcours de vie, estimant qu'elles relevaient de "l'intime". "Mes malheurs, c'est pas la peine, c'est personnel", a-t-il affirmé.
La personnalité "atypique" de Clément Baur sera examinée vendredi.
Loi du talion
Au cours de l'instruction, Mahiedine Merabet a contesté tout projet d'attentat meurtrier. Il a justifié la présence de plus de 3,5 kg de TATP (un explosif instable prisé des jihadistes) dans l'appartement marseillais qu'il occupait avec Clément Baur par sa "passion de la chimie" et un "projet de revente".
Son coaccusé avait été moins prolixe. Mais dans des conversations interceptées lors de parloirs, il revendiquait son adhésion au groupe Etat islamique (EI), clamait sa haine de la France.
Clément Baur tient également Mahiedine Merabet responsable de leur arrestation et de l'échec de leur projet, lui reprochant d'avoir communiqué avec des policiers cyber-infiltrés.
C'est notamment la recherche début avril 2017 par Mahiedine Merabet d'un contact pour transmettre à l'EI une vidéo de revendication, puis un envoi à un agent de la DGSI opérant sous pseudonyme d'un montage montrant une composition réalisée à l'aide de munitions pour écrire "la loi du talion" qui avaient mis les enquêteurs sur la piste du duo.
Clément Baur encourt trente ans de réclusion criminelle, la peine maximale prévue pour le crime d'association de malfaiteurs terroriste. Mahiedine Merabet encourt lui la perpétuité, étant en état de récidive légale.
Verdict attendu le 3 février.