ANKARA: La gestion économique de la Turquie a connu une année mouvementée, entre la crise monétaire et la volatilité des taux d’intérêt qui ébranlent la confiance des investisseurs.
Le récent congédiement du gouverneur de la Banque centrale par décret présidentiel du jour au lendemain a créé une atmosphère d'inquiétude. La démission de Berat Albayrak, ministre turc des Finances et gendre du président Recep Tayyip Erdogan, contribue au climat de défaite général. Les investisseurs espèrent désormais que 2021 améliorera les perspectives économiques du pays.
Albayrak, qui a pris les rênes des finances à la mi-2018, est accusé d’avoir opté pour une stratégie monétaire axée autour d’une ingérence politique coûteuse sur les marchés des devises, et d’avoir ainsi épuisé les réserves de la banque.
La Turquie connaît actuellement un grave déficit de la balance courante, et qui devrait atteindre 2,7 milliards de dollars en septembre.
Les banques détenues par l’État turc auraient vendu cette année près de 100 milliards de dollars des réserves pour soutenir la devise locale. Ces mesures préconisées par la banque centrale ont déclenché une ruée vers les dollars parmi les particuliers à la recherche d'un refuge pour leurs pécules dans les tempêtes de 2020.
Les réserves de devises étrangères du pays ont atteint leur point le plus bas au cours des deux dernières décennies, ce qui a conduit l'agence de notation de crédit Moody's à avertir en septembre que la Turquie a «presque épuisé les réserves qui lui permettraient d'éviter une potentielle crise de la balance des paiements».
Afin de gagner la confiance des investisseurs après la chute de la livre, le gouverneur de la Banque centrale a été remplacé par Naci Agbal, et le poste du ministère des Finances occupé par Lutfi Elvan. L’annonce de la nomination de ces deux alliés proches d'Erdogan a fait bondir la livre turque contre l'euro et le dollar, mais certains experts estiment que cette halte pourrait être de courte durée.
Lors de sa première apparition publique mardi, Elvan a assuré que les politiques de croissance du gouvernement ne menaceraient certainement pas sa lutte contre une inflation à deux chiffres qui continue d’épuiser l’épargne des citoyens.
«Le processus de croissance de la Turquie est planifié et contrôlé d’une manière à ne pas menacer notre combat contre l’inflation et pour la stabilité macroéconomique», a-t-il déclaré. Il a de plus promis que le pays connaîtrait une croissance durable dans deux ans.
Dans la perspective d'élections anticipées et de bouleversements politiques, la tourmente économique s'aggrave avec la monnaie sombrant à des niveaux record puisque la Banque centrale, sous la pression politique de ne pas augmenter les taux, a maintenu les taux d'intérêt directeurs à environ 10,25%.
Erdogan est connu pour son opposition farouche à la hausse des taux d'intérêt, qualifiant cette politique monétaire de «source de tous les maux».
À un moment critique, la banque centrale tiendra sa prochaine réunion aujourd'hui pour décider des taux d'intérêt dans une décision très importante et parfaitement anticipée.
Les taux réels sont considérés comme plus élevés que les chiffres officiels, avec une inflation d'environ 12% et des taux de chômage en croissance constante, en particulier chez les jeunes. Plus de 10 millions de personnes sont sans emploi en Turquie.
La livre turque, de loin la devise la moins performante, a perdu près de 30% de sa valeur cette année. Sous la nouvelle administration de Joe Biden aux États-Unis, le gouvernement turc pourrait faire face à d'éventuelles sanctions américaines pour son achat précédent d'un système de missiles russe.
Wolfango Piccoli, coprésident de la firme londonienne Teneo Intelligence, a déclaré que 2020 a prouvé que le modèle de développement économique de la Turquie, largement fondé sur l’obtention facile du crédit, n’est plus du tout viable et a largement dépassé sa date d'expiration.
«Pour l'avenir, la question fondamentale est de savoir si la Turquie possède vraiment des responsables et des politiciens capables de concevoir et de mettre en œuvre une nouvelle stratégie économique et si Erdogan est prêt à accepter ces changements malgré leur coût politique», a-t-il déclaré à Arab News.
Avec des enjeux si élevés, les observateurs du marché s'attendent à des hausses de taux et à la fin de la croissance du pays basée sur le crédit qui prévaut depuis trois ans. La pression politique continue sur la banque centrale turque est une source de préoccupation aditionnelle pour les investisseurs.
Selon Piccoli - qui a estimé que les nouvelles nominations de l'équipe économique sont loin d’indiquer un retour soudain à la rigueur économique; plus la Turquie s'en tient à l'ancienne stratégie, plus grand sera l’embarras dans lequel elle se trouvera.
La pandémie de la Covid-19 a déclenché une contraction pour la première fois en Turquie depuis plus d'une décennie, et l'économie devrait cette année reculer de 3,4%, selon un nouveau sondage de Reuters. L'économie s'est contractée de 10% au deuxième trimestre, alors que la dernière contraction sur une base annuelle remonte à 2009. Touchée par la crise financière, l’économie avait reculé à l’époque de 4,7%
Reuters prédit que la balance courante afficherait un déficit d'environ 3,8% du produit intérieur brut cette année.
Parallèlement, les derniers chiffres officiels montrent que les revenus du tourisme de la Turquie pendant la pandémie ont diminué de plus de 70%, une baisse qui a eu une influence négative sur la balance des opérations courantes.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com