La mort annoncée de Bah Ag Moussa, à la suite d'autres opérations récentes de la France au Mali et au Sahel, manifeste de la part de Paris un refus de discuter avec les djihadistes qui place les nouvelles autorités de Bamako face à des choix difficiles, analyse Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network (ASSN).
QUESTION: Quelle est la signification de l'élimination de Bah Ag Moussa ?
REPONSE: C'est la confirmation du constat fait depuis quelques semaines: la volonté de la France de ne pas appuyer d'éventuelles négociations envisagées, voire engagées, par les autorités maliennes. On a vu à la faveur de la venue de Jean-Yves Le Drian (en octobre) que le désaccord avec le Premier ministre Moctar Ouane était manifeste, le ministre français affirmant la volonté de poursuivre la lutte contre tous les groupes armés terroristes, et le Premier ministre rappelant que, depuis le dialogue national inclusif il y a un an, les autorités maliennes, quelles qu'elles soient, se sont engagées à envisager des pourparlers avec Iyad Ag Ghaly, le chef du GSIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, nébuleuse djihadiste liée à Al-Qaïda), et Amadou Koufa (autre figure du GSIM).
On voit bien que cette option n'est pas acceptable pour la France.
Par ailleurs, quand on lit la déclaration de Florence Parly, extrêmement claire, on sort de la dynamique du sommet de Pau de janvier 2020. Alors qu'il avait été décidé de concentrer l'action sur la région des trois frontières (avec le Burkina et le Niger) et la lutte contre l'EIGS (Etat islamique au Grand Sahara), il s'agit désormais de frapper indistinctement les groupes affiliés à l'Etat islamique tout comme ce dernier, et ceux affiliés à Al-Qaïda, comme le GSIM.
Q: Les récentes opérations françaises peuvent-elles être vues comme une réaction à la libération par les autorités maliennes de 200 djihadistes et prisonniers, en échange de la libération de Sophie Pétronin et de trois autres otages ?
R: Je pense que c'est une réaction à cette libération massive et sans précédent. Certes, il y avait plusieurs catégories de prisonniers dont, pour certains, on n'était pas sûr qu'ils aient été véritablement engagés dans les combats. Mais il y a quand même des artificiers, des personnes qui ont été impliquées dans des actions très létales. Il a été très mal vécu du côté de l'armée française de voir libérer ces personnes-là. Cela a accéléré une réaction d'une partie de l'appareil décisionnel français pour laquelle le coût de l'engagement militaire a été trop élevé aussi bien en termes de vies humaines qu'en termes financiers et pour laquelle se retirer serait un aveu de défaite. Clairement, c'est l'option des faucons qui prend le dessus.
Q: Peut-on envisager durablement une situation où les autorités maliennes cherchent le dialogue avec les groupes radicaux et les Français continuent à frapper ?
R: La relation était difficile déjà du temps d'IBK (Ibrahim Boubacar Keïta, le président renversé en août par les militaires aujourd'hui au pouvoir). Là, les Français se retrouvent avec de nouvelles autorités qui, tout en réaffirmant leur partenariat et en s'engageant dans des opérations au sol, ont un discours ambigu.
Le problème, c'est que la seule exigence du côté du GSIM pour des négociations, c'est le retrait des forces françaises, et non pas l'application de la charia.
Manifestement les autorités maliennes veulent poursuivre. Cela ne peut pas être tenable très longtemps. La clarification ne peut venir que des autorités maliennes parce qu'aujourd'hui comme hier la légitimité de l'intervention française, c'est la sollicitation très claire des autorités maliennes, d'abord en 2013 au moment de Serval, et la réaffirmation qui a été demandée par Emmanuel Macron au sommet de Pau.