BEYROUTH: Alors que le Liban entre ce samedi dans un confinement strict de deux semaines dû à la pandémie de coronavirus, le pays qui connaît une crise politique et économique sans précédent depuis un an continue sa descente aux enfers et s’enlise chaque jour un peu plus dans la pauvreté.
La pandémie est venue aggraver la crise économique la plus aiguë de l’histoire moderne du pays. En quelques mois seulement, la livre libanaise a perdu cinq fois sa valeur face au dollar sur le marché noir, et les déposants n’ont plus accès à leurs comptes en banque en devises depuis un an.
De nombreux magasins, dont un grand nombre appartiennent à des chaînes internationales, ont déjà fermé leurs portes.
Le mois dernier, une chaîne multi-marque étrangère a fermé toutes ses boutiques aux quatre coins du pays.
«Nous avons été informés de notre licenciement quelques jours seulement avant la fermeture. Ce qui arrive est très triste. Même si je percevais mon salaire en livres, ce serait mieux que rien. Il me sera difficile, comme pour mes collègues d’ailleurs, de trouver un autre emploi actuellement », raconte Patrick, l’un des employés de la chaîne.
La pauvreté au Liban En chiffres
En août dernier, selon une étude des Nations unies, 55 % des Libanais vivaient sous le seuil de la pauvreté, dont 23 % dans la pauvreté absolue.
Selon les projections de diverses institutions internationales, à la fin de l’année, quelque 80 % de la population sera pauvre.
Dans les grands magasins, des étages entiers se vident de leurs boutiques de marque, alors que dans les rues, c’est tous les jours que le rideau d’un magasin est baissé pour de bon.
Wajdi est épicier dans un quartier aisé d’Achrafieh, dans l’Est de la capitale. Dans sa petite épicerie, avant la crise, on pouvait trouver tous les produits, de la lessive au chocolat en passant par le fromage, le jus et les pâtes. Il vendait une panoplie de marques, pour la plupart européennes.
Le Liban qui a toujours misé sur le secteur des services, entre banques et tourisme, importe environ 80 % de ses produits de consommation.
« Tout a changé »
Lentement, les étalages de l’épicerie ont commencé à se vider pour ne plus vraiment se remplir. Au fur et à mesure, les marques européennes ont été remplacées par d’autres, notamment turques.
« Tout a changé depuis le début de la crise. Les ventes ont chuté et ceux qui achètent encore ne cherchent pas la qualité mais les produits bon marché. Plus personne n’achète les produits premium. Pour les détergents par exemple, je vends désormais des produits au galon fabriqués au Liban. Du jamais vu », dit Wajdi triste et choqué de voir sa clientèle aussi appauvrie.
Même si le Liban n’a pas d’industries, il était connu pour son excellence dans trois domaines dans la région : la médecine, l’éducation et l’art. Ces secteurs sont aujourd’hui lourdement touchés par la crise.
Les productions artistiques se sont arrêtées. En matière d’éducation, des milliers d’étudiants ne peuvent plus se payer des études dans les institutions privées alors que de nombreux enseignants universitaires envisagent de quitter le pays.
Les hôpitaux manquent désormais de produits de première nécessité. Les tarifs des consultations et des interventions chirurgicales n’ont pas suivi le prix du marché noir. Aujourd’hui avec la dévaluation de la livre, un médecin qui comptait la consultation à 100 dollars perçoit désormais l’équivalent de 20 dollars. De plus en plus de médecins ayant effectué leurs études aux Etats-Unis et en Europe quittent le pays pour s’établir en Occident.
Comme dans les pays les plus pauvres
Marwan est médecin orthopédiste dans un hôpital de la banlieue de Beyrouth diplômé des universités françaises. Aujourd’hui, il pense s’établir à Paris. « La situation du Liban est comparable à celle des pays communistes. Nous n’avons plus le droit d’aspirer à plus de ce que nous avons. C’est comme si nous devons être satisfaits du peu que nous avons désormais », s’insurge-t-il.
« Avec le matériel dont nous disposons maintenant, nous sommes retournés au moins 50 ans en arrière. Les bandages, compresses et autres produits que j’utilise après les opérations, sont ceux des aides humanitaires distribuées généralement dans les pays les plus pauvres. Ce sont des produits de moindre qualité que même les hôpitaux les moins importants du pays n’utilisaient plus depuis plusieurs dizaines d’années », dit-il.
Le problème se pose également auprès des patients assurés qui parfois doivent payer des sommes en liquide avant les interventions chirurgicales.
Le luxe, un mirage du passé
Nicole est propriétaire de pharmacie, elle explique :«Nous faisons face à deux problèmes, la pénurie de médicaments et aussi le chute du pouvoir d’achat des clients ».
Au cours des derniers mois, de centaine de marques de médicaments, subventionnés par l’Etat, sont difficilement trouvables sur le marché, notamment ceux des maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension.
« Les clients achètent de moins en moins de produits pour bébé, parce que c’est devenu trop cher. Ils se passent même de lait pour nourrissons, J’ignore ce qu’ils donnent à manger à leurs enfants, peut-être ils l’ont remplacé par du lait ordinaire. Ils achètent moins de couches-culottes aussi », note-elle.
« En parapharmacie, je ne vends quasiment plus rien. Les gens achètent de moins en moins de shampoings et de déodorants. Mes clients n’achetaient que des marques des laboratoires européens, maintenant ils font avec des produits fabriqués au Liban. Les ventes de tous les produits ont chuté, même celles des serviettes hygiéniques », explique-t-elle.
Dans ce Liban qui sombre dans la pauvreté, il n’y a plus de la place au luxe.
Georges est fleuriste à Horch Tabet, une banlieue chic de Beyrouth. Il y a quelques mois, il a ajouté aux produits qu’il propose des fleurs et des plantes artificielles.
Les fleurs coupées qu’il propose à la vente, ce sont uniquement deux douzaines de roses. « Les importations se sont arrêtées car elles sont devenues trop chères. Et les horticulteurs ont planté très peu de fleurs cette saison. Au printemps dernier, ils avaient tout jeté à cause du confinement et aussi les engrais ont trop renchéri », explique-t-il.
D’un air désolé, il dit comme pour s’excuser : « Ma boutique n’a jamais été aussi vide de clients ou de produits. Mais fleurs et plantes sont un vrai luxe en temps de crise. Cette semaine j’ai vendu uniquement sept bouquets de fleurs pour un client qui organisait le quarantième de son épouse. Je n’ai jamais pensé que nous serions aussi pauvres ».
Le Liban a désormais un autre visage : l’opulence du passé, c’est fini. Place à l’austérité la plus stricte. Ses habitants, économiquement à genoux, se demandent s’ils vont un jour se réveiller de leur cauchemar.