La semaine dernière, les dirigeants saoudiens ont félicité le président élu, Joe Biden, pour sa victoire à l’élection américaine. Fait notoire, ils ont aussi tenu à envoyer des lettres officielles de félicitations à Kamala Harris, sa vice-présidente. En plus de ses qualifications personnelles qui la rendent parfaite pour le poste, la portée symbolique de sa victoire est importante, non seulement en tant que première femme à ce poste, mais aussi en tant que fille d'immigrants de Jamaïque et d'Inde. Ce symbolisme n’échappe pas dans une région où les femmes et les minorités sont constamment confrontées à une bataille difficile pour obtenir la moindre reconnaissance.
Dimanche, un jour après que les médias américains ont décrété Biden et Harris vainqueurs, le roi Salmane et le prince héritier Mohammed ben Salmane leur ont envoyé des lettres de félicitations. Dans sa lettre à Harris, le prince héritier déclare qu'il a hâte de «poursuivre la collaboration entre les deux nations amies».
Kamala Harris n'est pas la première femme au monde à remporter une fonction aussi importante. Il y a eu des femmes présidentes et Premières ministres dans de nombreux pays, mais la grande visibilité des politiciens américains et leurs styles personnels ont fait immédiatement de Mme Harris une célébrité. Elle-même pourrait avoir plus d'impact auprès des jeunes, en particulier des jeunes femmes qui ne manqueraient pas d’être inspirées par son succès.
Les femmes aux États-Unis ont obtenu le droit de vote à l'échelle nationale en 1920. Depuis, elles ont fait de grands progrès dans la vie publique, mais pas vraiment dans des postes d’élues. Dans les gouvernements locaux, les femmes représentent environ 32% des maires et des membres des conseils des 100 plus grandes villes. Dans les assemblées législatives des États, leur part des sièges a été multipliée par cinq depuis 1970, mais reste inférieure à 30%. L'inégalité la plus prononcée se trouve au Congrès américain, où moins de 24% des législateurs sont des femmes, en grande partie du Parti démocrate (83%), ce qui indique la résistance considérable que les femmes rencontrent parmi les conservateurs américains cent ans après avoir obtenu le droit de vote.
Les femmes américaines votent en plus grand nombre que les hommes – 63% en moyenne contre 59% des hommes. Pourtant, il a fallu cent ans aux États-Unis pour amener une femme au deuxième poste le plus élevé du pays. C'est une étape importante, les femmes font la différence. Selon les médias américains, 56% des électrices ont choisi le billet Biden-Harris contre 43% qui ont choisi Trump-Pence. Le fait d'avoir une femme sur le billet a probablement poussé à ce choix. Chez les hommes, les deux billets étaient à égalité.
Samedi, Kamal Harris, habillée en blanc en hommage aux suffragettes, a prononcé son premier discours en tant que vice-présidente élue. Son message aux jeunes filles était clair: «Bien que je sois la première femme à occuper ce bureau, je ne serai pas la dernière. Parce que chaque petite fille qui nous regarde ce soir voit que c'est un pays riche de de possibilités.»
En plus d’autonomiser les femmes, l’élection de Harris est importante pour une autre raison. Son héritage d'immigrante résonne avec beaucoup dans cette région, et a conduit à des comparaisons inévitables, principalement favorables aux États-Unis. La xénophobie aux États-Unis n'est, relativement parlant, pas aussi criante ou répandue qu'en Europe, ou d'ailleurs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il est vrai qu'il existe des poches d'antipathie dangereuse envers les immigrants et les étrangers en général. Il est également vrai que beaucoup aux États-Unis sont indifférents aux injustices subies par les Afro-Américains dans le passé et encore aujourd'hui. Cependant, le fait que les Américains aient précédemment élu Barack Obama à la présidence, et aujourd’hui Harris à la vice-présidence, en dit long sur la différence entre les États-Unis et le Vieux Monde de l'Europe et du Moyen-Orient, où il est rare de voir un immigrant occuper des postes aussi élevés.
À partir des années 1960, le mouvement des droits civiques a largement contribué à la cohésion de la société américaine dans la lutte contre la discrimination, à la fois systémique et sociale, et a créé une saine prise de conscience de la nécessité de lutter contre les inégalités. Par conséquent, la législation américaine ciblant la discrimination est solide et efficace. La nouvelle administration devra s'appuyer sur ces fondations pour restaurer la cohésion sociale.
L'Europe n'a pas connu un réveil similaire vers plus d'inclusion, et le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord sont à des années-lumière sur cette question. Dans la région Mena, y compris le Golfe, il y a de plus en plus de signes du contraire – exclusion, antipathie et conflit, qui reposent généralement sur des différences religieuses, ethniques, nationales ou régionales. En Irak, au Liban, en Libye et au Yémen, les conflits armés sont alimentés et entretenus par ces différences. Lorsque les femmes réclament l’égalité des droits, elles sont accusées de violer les normes sociales ou religieuses, ou de suivre aveuglément les voies occidentales. Les travailleurs invités ont peu de possibilités d'inclusion sociale ou de mandat politique. Les médias sociaux ont accentué les différences entre les tribus et autres différences sociales et ont distingué les immigrants pour des abus particuliers.
Dans une région ravagée par les divisions et les troubles, en grande partie liés à l'identité, le choix de Harris apparaît exotique pour certains mais inspirant pour d'autres. L'idée qu'un enfant d'immigrants puisse atteindre des postes élevés en une génération dépasse les attentes de beaucoup. Qu'elle soit aussi une femme rend cela plus étonnant. Mais le fait que cela se soit produit dans le pays le plus puissant du monde, grâce à l’élection la plus suivie de la planète, devrait le rendre plus plausible.
Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation, et un chroniqueur pour Arab News.
Twitter: @abuhamad1
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com