RANGOUN: Après 5 ans sans un seul député musulman, la Birmanie avait besoin d'un porte-parole pour les minorités opprimés au sein du parlement, estime Sithu Maung, élu lors des législatives de dimanche dernier.
Âgé de 33 ans, le tout nouveau parlementaire a promis de se battre pour les plus faibles dans un pays où les discriminations contre les minorités sont légion, de l'éducation à la santé jusqu'à l'accès au monde du travail.
Les musulmans représentent environ 4% de la population et souffrent de niveaux de discrimination particulièrement élevés dans un pays très majoritairement bouddhiste.
Élu sous l'étiquette de la ligue nationale pour la démocratie (NLD) d'Aung San Suu Kyi, il était l'un des deux musulmans présentés par le parti, sur plus de 1100 candidats.
Dans sa circonscription du centre-ville de Rangoun, il a récolté 80 % des voix.
« Les gens m'applaudissaient, scandaient mon nom depuis leurs appartements alors que je passais dans la rue », raconte le jeune homme dans son modeste studio du quartier colonial de la capitale économique du pays.
La circonscription de Sithu Maung est l'une des plus diverses sur le plan ethnique avec environ 30 000 habitants, autant de bouddhistes que de musulmans, et des minorités rakhine, chinoise et indienne.
« Je travaillerai pour les personnes de toutes les religions, en particulier celles qui sont victimes de discrimination et opprimées ou privées de leurs droits », a-t-il promis.
Les résultats officiels sont attendus plus tard dans la semaine, mais sans attendre, la NLD a revendiqué un large succès.
Ses partisans sont descendus en masse dans la rue pour célébrer la victoire malgré la peur du coronavirus dont les cas ont augmenté fortement ces dernières semaines.
« De sang mêlé »
Le sort des musulmans en Birmanie, particulièrement les Rohingyas, est à l'origine de la disgrâce d'Aung San Suu Kyi sur la scène mondiale.
Le pays de l'ancienne prix Nobel se voit accusé de génocide par la justice internationale pour des opérations militaires d'envergure en 2017 ayant conduit des centaines de milliers de musulmans à fuir, et 600 000 autres à vivre sur le sol birman, mais considérés comme apatrides, dans des conditions qualifiées d'apartheid par les ONG de défense des droits humains.
Mais les musulmans d'autres origines ethniques, officiellement acceptés comme citoyens, sont également souvent victimes de discrimination.
Comme beaucoup, Sithu Maung a dû attendre des années pour obtenir une carte d'identité qui le qualifiait « de sang mêlé », le rétrogradant dans différentes files d'attente dans les services publics.
« Il faut l'avoir vécu pour comprendre ce qu'on ressent à ce moment-là », explique-t-il.
Le cuir épais
Déjà en politique lors du précédent scrutin en 2015, Sithu Maung n'avait pas été choisi comme candidat par la LND. Il a attendu 5 ans pour cela, et même après tout ce temps, sa nomination a été violemment décriée.
« Il y a eu beaucoup de désinformation à mon égard. Des gens m'ont traité de terroriste, d'autres prétendaient que je voulais imposer l'apprentissage de l'arabe à l'école ».
« Même chez les musulmans, certains m'ont critiqué : je ne priais pas assez, j'étais athée, j'étais anticonformiste », raconte l'élu, qui affirme avoir le cuir épais face à tout cela.
Il ne sera d'ailleurs pas tout seul au parlement. Win Mya Mya, 71 ans, un autre musulman, vétéran de la NLD, a confortablement remporté son siège dans la région de Mandalay.
La victoire historique de ce duo est « encourageante » mais la Birmanie doit maintenant réellement s'attaquer « en profondeur à la discrimination très enracinée envers les musulmans et d'autre minorités ethniques qui servent de bouc émissaires », estime le politologue David Mathieson.
Sithu Maung ne se voit pas comme le représentant de la seule communauté musulmane.
« Si l'un de mes administrés, quel qu'il soit, est attaqué ou fait face à une injustice, je le défendrai. »