PARIS: Des costumes de carnaval éblouissants aux rituels rétablis dans leur signification profonde à travers la photographie, deux expositions parisiennes consacrent les stratégies de résilience développées à travers l'art par les "Black Indians", ou Africains-Américains, et les Aborigènes.
En collaboration avec le Louisiana State Museum, des scientifiques et artistes de la Nouvelle-Orléans, le musée du Quai Branly - Jacques Chirac présente jusqu'en janvier une exposition dédiée aux Africains-Américains des terres de Louisiane et d'Amérique du Nord, l'une des premières de cette ampleur en Europe.
Elle montre à travers leurs réalisations culturelles les plus spectaculaires comment ils ont subi l'arrachement à leur terre natale par l'esclavage puis la guerre de Sécession, la ségrégation et le racisme, des débuts de la présence européenne sur le continent américain jusqu'à l'époque contemporaine.
Elle témoigne aussi des liens durables créés par les Amérindiens, décimés par les colons et premiers à connaître la servitude et l'oppression, avec la communauté africaine-américaine.
Au coeur de ce voyage géographique et chronologique: les costumes tout en couleurs, plumes, perles de verre et broderies du carnaval du Mardi Gras de La Nouvelle-Orléans.
«Big Chiefs»
Inspirés des tenues traditionnelles cérémonielles amérindiennes, ils remontent à la moitié du XIXe siècle et "sont nés de la résistance aux interdits ségrégationnistes, parallèlement au carnaval officiel de la Nouvelle-Orléans dominé par la communauté blanche", raconte Kim Vaz-Deville, professeure à la Xavier University of Louisiana et commissaire de l'exposition avec Steve Bourget, responsable des collections Amériques au musée du Quai Branly.
Parmi ces costumes: celui tout en perles et coquillages porté au carnaval de 2022 par Victor Harris, l'un des "Big chiefs" (grands chefs) des "Black Indians", regroupés en tribus.
"Il incarne depuis 1984 l'esprit ancestral puissant de Fi Yi Yi, lui étant venu en songe et le sommant de retourner à ses racines africaines", explique M. Bourget.
Réappropriation
L'exposition évoque aussi l'ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans le 29 août 2005, jetant les plus démunis et la communauté noire à la rue dans les décombres.
"Parmi les conséquences de cette catastrophe naturelle, la misère amplifiée des Black Indians due aux choix politiques et gouvernementaux qui l'avaient précédée et le fait qu'elle a été plus visible à partir de 2010-2012, à travers ses traditions carnavalesques notamment, faisant preuve d'une résilience exceptionnelle", souligne M. Bourget.
Cette capacité de résilience est aussi celle des Aborigènes dont parle l'une des leurs, l'artiste Maree Clarke, 61 ans, née à Swan Hill, dans le sud-est de l'Australie.
Elle expose jusqu'en mars à l'ambassade d'Australie 84 portraits en noir et blanc d'hommes et de femmes en deuil, accompagnés de neuf chapeaux de deuil Kopi, un couvre-chef en gypse ou en argile blanche.
"Ces œuvres représentent les pratiques de deuil des Aborigènes vivant le long des rivières Murray et Darling. Elles parlent de la perte de la terre, de la langue et des pratiques culturelles", a expliqué l'artiste à l'inauguration.
Figure centrale de la vie artistique de Melbourne, Maree Clarke pratique la photographie, la gravure, la sculpture, la vidéo et crée toutes sortes de bijoux et objets.
Colliers en roseau et plumes d'oiseaux, en dents de kangourous "tués sur les routes", manteaux en peau d'opossum: elle cherche à se réapproprier les savoirs-faire millénaires de sa communauté, perdus ou mis en sommeil à la suite de la colonisation, qu'elle transmet aux jeunes générations.
Restitution
Dans cet objectif, elle a voyagé "partout dans le monde", notamment en Europe, pour retrouver leurs traces dans les musées, documentant chacune de ses découvertes comme "partie intégrante de l'héritage", dit-elle.
Elle rêve de "programmes" qui permettraient aux jeunes aborigènes "qui ne savent pas que ces objets existent" de les découvrir.
"Mais le plus important, ajoute-t-elle, c'est que les restes humains ancestraux soient restitués à la communauté".
La France et l'Australie se sont engagées à "permettre le retour de ces restes ancestraux des Aborigènes et insulaires du détroit de Tores (Nord de l'Australie) conservés dans les établissements français, la plupart au musée de l’Homme à Paris", rappelle l'ambassade d'Australie.