LE CAIRE: Quatre ans après que L'Egypte a misé sur la dévaluation de sa monnaie et la rigueur pour relancer l'économie, le Produit intérieur brut poursuit sa croissance, au ralenti toutefois, pendant la pandémie mais les Egyptiens pâtissent de conditions de vie toujours plus difficiles.
Gaber a été pris au dépourvu par son licenciement en avril. Cet habitant de Haute-Egypte (sud) travaillait dans un hôtel du littoral de la mer Rouge jusqu'à ce que l'Egypte ferme ses frontières en raison de la maladie de Covid-19.
« Je subviens aux besoins de mes quatre enfants, de mon épouse et de ma mère », raconte l'homme de 36 ans. « Mais c'est parfois difficile d'avoir de la viande aux repas à cause des prix et de la situation ».
Au 3 novembre, 108 122 cas d'infections -dont 6 305 décès- ont été recensés officiellement.
Le Fonds monétaire international (FMI) a prévu en septembre que le PIB égyptien serait le seul à progresser en 2020 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient avec +3,6%.
Le taux de croissance s'est établi à 5,6% au premier semestre de son année fiscale décalée 2019-2020. Le gouvernement égyptien tablait sur 6% sur l'ensemble de l'année, avant la crise sanitaire.
A rebours des tendances régionales voire mondiales, cette croissance économique étonne les observateurs. Certains y voient le fruit des réformes, d'autres sont plus nuancés.
Investissement étranger
Le pays bénéficie depuis 2016 du soutien du FMI --avec un prêt de 12 milliards de dollars-- en échange de mesures d'austérité drastiques dont la dévaluation de la livre égyptienne.
Pour l'économiste Ahmed al-Safti, cette dévaluation de près de 50% en novembre 2016 a contribué à rééquilibrer la balance des paiements, en favorisant l'entrée de devises cruciales pour l'Egypte notamment via le tourisme avant la pandémie.
Après un déclin lié aux troubles politiques et sécuritaires ayant secoué le pays depuis 2011, ce secteur-clé a engrangé 12,6 milliards de dollars en 2018-2019, soit les recettes touristiques les plus élevées de la décennie, selon la Banque centrale égyptienne.
Et les transferts des Egyptiens de l'étranger vers leur pays d'origine ont atteint 28 milliards de dollars en 2019-2020, un record.
Selon Safti, la libéralisation du taux de change, la hausse des taux d'intérêt et une forte rentabilité ont de plus entraîné « l'augmentation des investissements étrangers dans les titres d'Etat, surtout les bons du Trésor ».
Le Caire mène en parallèle depuis quatre ans une politique de rigueur, réduisant les aides étatiques --surtout liées à l'énergie-- avec pour effet de précipiter nombre d'habitants dans la précarité.
Selon les chiffres officiels, 32,5% des quelque 100 millions d'Egyptiens vivaient déjà sous le seuil de pauvreté en 2017-2018, soit une hausse de 4,7 points par rapport à 2015.
« Le prix à payer pour les réformes », relève l'économiste.
Et la pandémie a aggravé la situation, en particulier pour les plus de quatre millions de travailleurs du secteur informel dont beaucoup, déjà vulnérables, risquent de perdre leur emploi. Le chômage a bondi à 9,7% au trimestre mars-juin 2020, contre 7,7% au trimestre précédent, d'après la Banque mondiale.
Chiffres « trompeurs »
Sarah Smierciak, experte en économie politique, estime que les « programmes sociaux mis en place par l'Etat (pour pallier l'effet des réformes, NDLR) ne représentent qu'une goutte d'eau (...) et ne parviennent pas à atteindre les millions d'indigents ».
Et les chiffres concernant la croissance du PIB « sont extrêmement trompeurs », selon elle.
« L'année fiscale en Egypte s'étend du 1er juillet au 30 juin donc quand ils parlent d'une croissance de 3,5% pour 2020, seuls quelques mois sont touchés par la crise du Covid-19 », explique-t-elle.
Le poids de l'investissement public injecté dans de grands projets d'infrastructures doit aussi être nuancé, selon l'experte.
Elément moteur de la croissance en Egypte, cet investissement est « amplement financé par l'emprunt, ce qui signifie que les sommes contribuant aujourd'hui au PIB devront, plus tard, être remboursées avec intérêts », avertit-elle.
La dette extérieure a plus que doublé entre 2015 et 2020 : de 48 milliards de dollars à 111,2 milliards.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le président Abdel Fattah al-Sissi a lancé plusieurs méga-projets dont celui d'une nouvelle capitale administrative, située dans le désert à 45 kilomètres du Caire et considérée comme la future vitrine du « développement » du pays.
Mais, selon l'universitaire, ces projets ne génèrent pas de « revenus durables ».
Gaber estime que ces initiatives « créent de l'emploi (...) et vont renouveler l'image de l'Egypte mais une grande partie du peuple n'en bénéficiera pas ».