BEYROUTH: Le Liban est près de conclure un accord avec Israël sur leurs eaux contestées renfermant des gisements d'hydrocarbures offshore, mais le pays en faillite devra attendre des années avant de bénéficier d'une éventuelle manne gazière, estiment des analystes.
"Un accord marquerait un pas en avant, mais cela ne signifie pas que le Liban est devenu un pays producteur de gaz ou de pétrole", explique Marc Ayoub, chercheur associé à l'Institut Issam Fares de l'Université américaine de Beyrouth.
"On parle d'un délai de cinq à six ans (..) avant la première production de gaz", si des réservoirs commercialement viables sont découverts, ajoute l'expert en énergie, qualifiant cette estimation d'"optimiste".
Le petit pays méditerranéen aux prises avec la pire crise économique de son histoire espère qu'une découverte de gaz offshore lui permettra de redresser ses finances sur fond de hausse de la demande de gaz en raison de la crise énergétique mondiale.
Plus d'une décennie après avoir adopté le tracé de sa économique exclusive (ZEE), le Liban n'a toujours pas annoncé avoir trouvé de réserves effectives de gaz naturel.
Un puits foré par un consortium des compagnies TotalEnergies, Eni et Novatek au large du centre du Liban en 2020 n'a révélé que des traces de gaz mais aucun réservoir commercialement viable.
La prospection, notamment près de la frontière avec Israël, a été entravée par le différend frontalier maritime entre les deux pays, toujours techniquement en état de guerre.
Après des années de négociations via une médiation américaine, le Liban et Israël sont aujourd'hui proches d'un accord, les deux pays ayant bien accueilli début octobre une proposition de Washington.
Un accord permettrait "aux activités de prospection offshore de se poursuivre mais cela ne signifie pas que le Liban est devenu riche (...) ou que sa crise a été résolue", a souligné M. Ayoub.
Corruption
Une étude sismique réalisée en 2012 sur une zone offshore par la société britannique Spectrum a estimé les réserves de gaz récupérables au Liban à environ 720 millions de mètres cubes.
Le bloc 9, près de la frontière israélienne, qui contient le champ de Qana, sera une zone majeure d'exploration offshore par Total et Eni, qui ont remporté le contrat en 2018.
Après avoir été partiellement revendiqué par Israël, le champ de Qana devrait revenir entièrement au Liban en vertu de l'accord sur la frontière maritime, selon des responsables libanais.
"A cette époque de l'année prochaine, nous devrions savoir s'il y a ou non une découverte commerciale à Qana", a déclaré M. Ayoub.
Le cas échéant, "il faudra (..) pas moins de trois à cinq ans" avant de démarrer la production.
Cette estimation, selon M. Ayoub, suppose qu'il n'y a pas de retard de la part des autorités libanaises accusées par une grande partie de la population de mauvaise gestion et de corruption.
Plusieurs appels d'offres pour des licences offshore ont été retardés depuis leur lancement en 2013.
Le Liban est loin derrière Israël qui se prépare à activer le gisement gazier offshore frontalier de Karish une fois conclu un accord, une étape clé devant doper ses exportations de gaz naturel vers l'Europe.
Chypre et l'Égypte ont également commencé à trouver d'importants réservoirs.
Investissement risqué
La production de gaz ou pétrole pourrait commencer d'ici trois ans si des réservoirs sont découverts, estime pour sa part le consultant en énergie Roudi Baroudi.
Mais le Liban devra mettre en œuvre une série de réformes s'il veut attirer les firmes énergétiques, déclare-t-il à l'AFP.
"Le Liban n'est pas un bon investissement si le gouvernement ne met pas en œuvre des réformes", estime l'expert.
Les réformes fourniraient "les garanties de base dont les entreprises internationales ont besoin pour travailler avec moins de risques".
Les institutions de l'État se sont délitées sous le poids de la crise, les grèves des fonctionnaires paralysant la plupart des administrations.
Plus de trois ans après le début de la crise financière, aucun plan de relance économique n'a été mis en place, malgré les pressions croissantes des donateurs étrangers et du Fonds monétaire international (FMI).
Et l'impasse politique depuis les législatives de mai retarde la formation d'un nouveau gouvernement, sur fond de crainte d'une prochaine vacance présidentielle à l'expiration du mandat de Michel Aoun fin octobre.
Avec un État en faillite incapable de fournir plus d'une heure d'électricité par jour, les entreprises énergétiques pourraient choisir de travailler sur leurs projets au Liban depuis Chypre, selon M. Baroudi.
"Sans état de droit, le Liban est une jungle", a déclaré le consultant.
"C'est le chaos absolu, que ce soit sur le plan judiciaire, financier ou en termes d'organismes" de régulation.