PARIS: "C'est pas ma faute s'il a pris 30 ans !". Deux ans après leurs condamnations dans le dossier des attentats de janvier 2015, deux proches d'Amedy Coulibaly ont de nouveau confronté leurs versions mercredi au procès en appel de ces attaques, où l'un est le principal accusé et l'autre un témoin à charge.
L'air las dans le box, Ali Riza Polat, rejugé pour complicité d'assassinats terroristes, n'a pas un regard vers les écrans où apparaît son ancien coaccusé, Willy Prevost, auditionné depuis la prison où il purge une peine - définitive - de treize ans de réclusion pour terrorisme.
Les deux hommes s'étaient quittés en décembre 2020 après trois mois d'audience où avaient fusé insultes et invectives, Ali Riza Polat accusant Willy Prevost de l'avoir "balancé" à la juge d'instruction et d'avoir "menti" à son égard pour "protéger sa peau".
Crâne rasé, doudoune sombre sur le dos, Willy Prevost semble se demander ce qu'on attend de lui. "Ce que j'ai dit en première instance, c'est toujours pareil", explique-t-il à la cour d'assises spéciale de Paris, qui rejuge M. Polat et un autre homme, Amar Ramdani, accusé de soutien logistique.
Peu expansif, il reconfirme avoir acheté du matériel pour Amedy Coulibaly, avec lequel il a grandi à Grigny (Essonne). Il admet encore une fois par un "ouais, c'est ça" avoir enlevé le traqueur GPS de la moto utilisée par Coulibaly pour l'attaque de Montrouge.
Willy Prevost maintient aussi ses déclarations à la juge d'instruction, à laquelle il avait dit qu'Ali Riza Polat avait convoyé des armes en août 2014 pour Amedy Coulibaly.
Il opine également quand on lui demande si le 7 janvier 2015, quelques heures après le massacre perpétré par les frères Chérif et Saïd Kouachi à Charlie Hebdo, il a bien remis des "éléments compromettants" - dont ses téléphones - à Ali Riza Polat sur sa demande "insistante", voire "menaçante".
«Perdre la tête»
Ali Riza Polat, qui a toujours contesté tout lien avec les attentats qui ont fait 17 morts entre les 7 et 9 janvier 2015, a été condamné à trente ans de réclusion criminelle en première instance pour son "rôle particulièrement actif et transversal" dans la logistique des attaques.
Lui assure connaître les "vrais protagonistes" et répète à la cour qu'il a "donné tous les noms" des "personnes concernées", qu'elles pourront "donner les détails" et qu'ainsi "la vérité sortira".
"Faut arrêter d'impliquer des gens comme ça dans ce dossier, (...) d'inventer des choses", maugrée Willy Prevost. "Tout ce que j'ai dit, je le maintiens."
"Polat a été impliqué, comme moi (...), sauf que lui il ouvre pas les yeux", poursuit le témoin.
La tête posée sur ses bras, Ali Riza Polat reste coi dans le box, jetant quelques brèves œillades à son ex-coaccusé.
Son avocat Moad Nefati, lui, attaque: "Plus on dit de choses, plus on dit de bêtises, M. Prevost. Et on s'expose au retour du réel".
"Vous maintenant, vous êtes tiré d'affaire", poursuit-il, aussitôt interrompu par un Willy Prevost piqué au vif.
"Comment je suis tiré d'affaire? C'est pas ma faute s'il a pris 30 ans! Je réponds plus aux questions, j'ai plus rien à dire", s'emporte le témoin, avant de poursuivre toutefois.
"Là vous êtes en train de retourner la situation: comme je suis condamné, vous dites que j'ai fait plus de choses que Polat, vous êtes en train de me faire porter le chapeau, là vous êtes en train de me dire 'T'as pris 13 ans, c'est rien'", s'énerve Willy Prevost.
Ses dernières paroles sont pour son ancien coaccusé: "Là, t'es en train de perdre la tête, mec! C'est toi qui devais de l'argent à Amedy (Coulibaly), c'est toi qui es allé chercher les armes. C'est toi, c'est pas moi !".
Plusieurs autres ex-coaccusés d'Ali Riza Polat et d'Amar Ramdani, définitivement condamnés dans le dossier, doivent témoigner vendredi et mardi.