PARIS: "Ca ne change rien". Au procès en appel des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, la juge d'instruction en charge de ce dossier "hors norme" a défendu vendredi son enquête et contré la "lecture" qu'en fait la défense.
La présence du magistrat instructeur à la barre d'une cour d'assises, même quand elle est spécialement composée et juge des affaires de terrorisme, est extrêmement rare.
Bien que ce soit "inhabituel", la défense d'Ali Riza Polat, l'un des deux accusés rejugés pour leur rôle présumé dans la préparation des attaques jihadistes, a tenu à "faire citer" la juge qui a instruit ce dossier pendant quatre ans, et renvoyé quatorze personnes devant les assises.
En décembre 2020, Ali Riza Polat avait été le plus lourdement condamné des onze hommes jugés en leur présence. Reconnu coupable de complicité des assassinats commis par les frères Chérif et Saïd Kouachi et par Amedy Coulibaly, il avait écopé de trente ans de réclusion criminelle.
Le Franco-Turc, qui a toujours nié tout lien avec les attentats, a depuis changé d'avocats, qui proposent "une nouvelle lecture" du dossier.
MMe Moad Nefati et Rachid Madid estiment ainsi que l'instruction est "passée à côté des vrais protagonistes" et que plusieurs pistes d'enquêtes ont été négligées.
"Nous sommes un peu les inspecteurs des travaux finis", résume Me Nefati à Nathalie Poux, qui a été juge d'instruction antiterroriste de 2009 à 2019.
Pendant les trois heures de son audition, la magistrate de 57 ans ne vacillera face à aucune des questions de la défense d'Ali Riza Polat.
Pas «démontré»
La voix claire et assurée, elle résume les principaux axes des investigations menées pour trouver les commanditaires et les logisticiens de ces attaques en l'absence de leurs auteurs, et semble anticiper chacune des questions de la défense.
Chérif et Saïd Kouachi, et Amedy Coulibaly avaient été tués le 9 janvier 2015 dans des assauts policiers après avoir semé pendant trois jours la terreur et le chaos et assassiné 17 personnes dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, à Montrouge et dans une supérette juive de l'est parisien.
L'instruction avait conclu au "rôle central" d'Ali Riza Polat dans la recherche des armes et dans les préparatifs, notamment au regard de ses nombreux échanges téléphoniques avec Coulibaly dans les mois précédant les attaques.
Affirmant qu'Ali Riza Polat n'a "jamais joué" ce rôle et qu'il cherchait alors à vendre une voiture pour éponger une dette envers Coulibaly, ses avocats pressent la témoin de questions.
Pourquoi la piste de Djamel Beghal, un vétéran du jihad et mentor religieux de Chérif Kouachi et d'Amedy Coulibaly, n'a-t-elle jamais été creusée ?
Pour la défense du principal accusé, qui a obtenu avant le procès l'exploitation d'une trentaine de numéros de téléphone retrouvés sur deux feuillets lors de la perquisition du logement de Coulibaly, l'un des noms, "Hamza", correspond à Djamel Beghal.
"J'ai passé dix ans à l'antiterrorisme, des +Hamza+ il peut y en avoir plein", rétorque Nathalie Poux.
"Rien n'a été démontré sur des contacts" entre les jihadistes et leur mentor, appuie-t-elle.
L'ex-juge d'instruction répètera invariablement cette réponse à chaque interrogation de la défense sur pourquoi telle ou telle personne n'a pas été poursuivie.
"On ne met pas en examen des gens juste parce qu'ils apparaissent dans des carnets d'adresses. Aucun élément ne permettait de (les) relier aux attentats", s'agace Mme Poux.
"Nous ne sommes pas dans une phase de critiques de votre travail", avance Me Moad Nefati, "nous avons des arguments à faire valoir".
Jusque-là silencieux dans le box, Ali Riza Polat se lève, rajuste son sweat-shirt blanc et interpelle vivement la témoin. Il évoque deux frères, "vous les connaissez ?".
"Je dois répondre ?", s'étrangle Nathalie Poux, avant de dire "non".
"Et la cote 8486 ?", hèle l'accusé. "Tu viens mentir ici", tempête Ali Riza Polat, puis se rassoit.
Il est rejugé jusqu'au 21 octobre avec son coaccusé Amar Ramdani, condamné en première instance à vingt ans de réclusion pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.