GANIS CHARG: Dans les champs verdoyants du sud du Soudan, les agriculteurs aiguisent leurs serpes pour la cueillette du maïs. Mais Youssef Ismaïl prépare, lui, ses outils pour fabriquer des trompettes Waza, qui seront utilisées pour célébrer la saison des récoltes.
Avec des calebasses qu'il découpe, humidifie et assemble, il forme de longs cors, similaires aux didgeridoo des aborigènes d'Australie, au pavillon évasé.
Ses Waza sont de tailles différentes: les plus longues peuvent faire deux mètres alors que certaines ne sont pas plus imposantes qu'un hautbois.
"Ce sont nos parents qui nous ont appris à faire des Waza", explique à l'AFP M. Ismaïl, habitant septuagénaire du village de Ganis Charg dans l'Etat du Nil Bleu, frontalier de l'Ethiopie.
"Traditionnellement, on utilise les Waza pour fêter les récoltes", qui débutent en novembre après la saison des pluies au Soudan, un pays où cette année encore près de 150 personnes ont été tuées et des dizaines de milliers de maisons détruites par des pluies torrentielles.
L'agriculture est un secteur majeur pour les 45 millions de Soudanais car elle représente 43% des emplois et 30% du PIB du pays, l'un des plus pauvres au monde, englué dans le marasme politique et économique depuis un coup d'Etat militaire il y a un an.
Chaque Waza a sa propre tonalité, les instruments se jouent en groupe. En général, chaque "fanfare" est composée de treize membres, dont certains utilisent parfois des cornes d'animaux pour taper en rythme sur leur instrument.
Perpétuer la tradition
Ces instruments sont particulièrement utilisés par l'ethnie des Funj du Nil Bleu.
Youssef Ismaïl, lui, appartient aux Barta, un clan d'origine africaine qui a récemment été impliqué dans un violent affrontement pour les terres contre l'ethnie haoussa, elle aussi africaine dans le pays majoritairement peuplé de tribus arabes.
Quand les armes se sont tues à la fin de l'été après plus de 120 morts et le déplacement forcé de milliers de familles, les groupes de Waza sont sortis pour faire sonner leurs instruments.
Ces dernières décennies, les Waza se sont invitées dans les mariages et autres festivals locaux car ces trompettes traditionnelles "sont intimement liées aux rituels des différentes communautés du Nil Bleu", explique à l'AFP Mohamed Soliman, professeur de musicologie à l'Université du Soudan.
Bien décidé à préserver cet héritage, Dafallah Ali Moustafa, passionné de musique soudanaise de 51 ans, présente des Waza dans son Centre des musiques folkloriques en banlieue de Khartoum.
Habilement, il montre à l'AFP comment chaque instrument peut être joué, brandi en l'air pour les plus courts ou appuyé au sol pour les plus longs.
M. Ismaïl, lui, veut perpétuer la tradition. Il enseigne la fabrication des Waza et apprend aux plus jeunes à en jouer à ses côtés.
"Chaque année, nous devons fabriquer de nouvelles Waza", dit-il.
Les instruments peuvent être conservés loin des pluies, des insectes et de l'humidité grâce à des étuis coniques qu'il sait aussi façonner, explique-t-il.
"On a tout appris à nos enfants", ajoute-t-il. "Ils maintiendront cette tradition en vie, même quand on ne sera plus là".