AFGHANISTAN : Dans le village d'Aziz Abad, la mosquée est inaccessible à la nuit tombée tant les combats font rage. Sur la ligne de front de Maiwand, dans le sud de l'Afghanistan, personne ne croît aux pourparlers de paix entre talibans et gouvernement afghan.
Depuis des mois, les incursions talibanes se multiplient dans le district le plus instable de la province de Kandahar, bastion historique des insurgés.
«Tu vois cette mosquée?», demande Sardar, fermier quadragénaire d'Aziz Abad. «Nous ne pouvons pas y faire la prière du soir, car la situation sécuritaire est trop mauvaise.»
Son village aride, perdu au milieu du désert, se situe à quelques mètres seulement de la dernière base marquant la fin du territoire sous contrôle de Kaboul. Les rues sont vides, des murs détruits. Le silence règne. La population se terre.
«Mes proches vivent là-bas, et je ne peux pas aller les voir», regrette Sardar, pointant du doigt le camp taliban.
Le contrôle des insurgés semble permanent. Dans le crachotement d'un talkie-walkie, la police affirme les entendre s'interroger après avoir remarqué de l'autre côté de la ligne de front les véhicules utilisés par l'AFP, pourtant ordinaires mais qu'ils ne connaissent pas.
Parqués dans leur mini-base en terre entourée de barbelés, sans eau courante ni électricité, les policiers montrent les maisons en ruine, tas de gravats et autres tranchées d'où les talibans les observent, et d'où ils attaquent chaque soir.
«Il n’y a pas une seule nuit ou nous n’allons pas nous réfugier dans nos tranchées», raconte Zainullah, 20 ans mais des traits d'enfant, sa moustache se dessinant à peine, tout en désignant de minuscules tunnels jonchés de déchets.
Lui était jeune adolescent quand il a rejoint la police pour défendre son district. Les hommes à ses côtés sont des proches. Ils défendent leur territoire, armés de leur seul courage et de quelques vieilles Kalachnikovs. Leur base actuelle, peuplée de chiens faméliques, s’écroule. Les sacs de sable la protégeant sont troués par les projectiles ennemis.
Improbable paix
Le processus de paix vu d'ici paraît bien improbable. «Les talibans ne veulent pas la paix», tranche Zainullah, qui n'utilise qu'un nom, comme de nombreux Afghans. Et de se remémorer avec nostalgie un passé récent, quand les forces afghanes jouissaient du «soutien aérien des forces américaines qui bombardaient les talibans».
Mais les États-Unis ont signé en février un accord avec les rebelles dans lequel ils s'engagent à retirer les troupes étrangères du sol afghan d'ici mi-2021 contre de vagues promesses des rebelles.
Eux qui à la tête d'une coalition internationale ont chassé les talibans du pouvoir fin 2001 et comptaient jusqu'à 100 000 soldats au plus fort de leur présence en 2010, devraient ramener ce nombre à 2 500 début 2021, selon un conseiller à la Maison-Blanche.
Donald Trump a même annoncé début octobre que tout le contingent américain aurait quitté l'Afghanistan «d'ici Noël». Une nouvelle qui a plombé davantage encore le moral des forces afghanes, que le départ des États-Unis met en péril.
L'impact de telles décisions est évident sur le terrain. Libéré de la pression militaire américaine, les talibans ont en à peine une semaine pris deux avant-postes, gagné du terrain, et lancé plusieurs attaques sur Maiwand, énumère Abdul Ghafar, un autre policier.
Les combats n'ont de fait jamais cessé dans le district depuis l'intervention américaine de 2001, qui a mis un terme à cinq années de règne sanglant des talibans.
Ils se sont même «intensifiés» avec les pourparlers démarrés en septembre, estime Ahmad Ikhlas, un jeune commandant de police à l'ouïe endommagée dans un attentat. Ce que confirment plusieurs responsables locaux.
D'après le Sigar, un comité parlementaire américain, qui cite des chiffres de l'armée américaine, les attaques «ennemies» ont cru de 50 % entre le 1er juillet et le 30 septembre en Afghanistan par rapport au deuxième trimestre. Un total «supérieur aux normes saisonnières».
Fin septembre, des centaines d'insurgés ont réussi à pénétrer un ou deux kilomètres en territoire gouvernemental. Ils ont atteint le village de Deh Qubat, situé à une demi-heure de route d'Aziz Abad, une première, avant d'être repoussés par les forces afghanes.
«Les talibans se cachaient derrière les murs, dans les maisons et dans la mosquée. Ils étaient partout», se souvient Atta Jan, un agriculteur de 28 ans, qui prenait son petit-déjeuner quand les insurgés ont fait irruption dans sa rue.
«Je n’ai jamais vu de combats aussi intenses», confirme Khalil, 26 ans, un haut gradé n'utilisant qu'un nom, qui a participé à la libération de Deh Qubat face à quelque 800 insurgés.
«Poudre aux yeux»
«Ils jettent de la poudre aux yeux des Américains, font un accord avec eux, mais pas la paix en Afghanistan. Une autre guerre va commencer», assure cet homme ayant lui-même des proches parmi les insurgés.
Alors que le président Ashraf Ghani multiplie les appels à un cessez-le-feu permanent, les rebelles refusent scrupuleusement de s'engager sur ce terrain, estimant qu'ils se priveraient ainsi d'un fort ascendant sur Kaboul dans leur quête d'une reprise du pouvoir, alors qu'ils contrôlaient ou contestaient déjà près de la moitié du territoire afghan début 2019, selon le Sigar. Une tendance qui n'est depuis lors allée qu'en se renforçant.
Les civils en paient le prix. L'ONU a recensé près de 2 200 morts et 3 800 blessés du conflit les neuf premiers mois de l'année, constatant une reprise des violences depuis mi-septembre.
Quelque 58 % des pertes sont causées par les «éléments anti-gouvernementaux», talibans et groupe Etat islamique, selon l'ONU, ce que les talibans rejettent. Au 1er novembre, l'Afghanistan comptait 260 000 déplacés, de même source.
A Maiwand, personne ne croît plus en une amélioration de la situation, dans un pays entré dans sa cinquième décennie de guerre, où les habitants ne connaissent que la violence depuis l'invasion soviétique de Noël 1979.
«J’ai 41 ans et de ma vie entière, je n’ai pas vu la paix», se désespère Bibi Khanum, une villageoise de Aziz Abad.
Les progrès qui ont suivi la chute du régime taliban ont en outre été bien trop lents à se matérialiser, poussant certains à s'engager, pour l'argent ou par conviction, avec les rebelles.
Dix-neuf ans plus tard, la première école pour filles d'Aziz Abad est toujours en construction. «J'aurais été heureuse d'aller à l'école», déplore Malalai, 14 ans et déjà fiancée. «Mais si je commence maintenant, je serai trop vieille quand je serai diplômée.»
Tous les établissements scolaires sont également fermés à Deh Qubat du fait de la situation sécuritaire.
Depuis l'attaque, Rafiullah, 13 ans, craint de sortir de chez lui. À la radio, il entend bien parler des pourparlers. Mais n'y voit qu'une mascarade. «Les Américains ont fait la paix, lance-t-il. Pas les talibans.»