PARIS: Faut-il projeter ou non les vidéos "insoutenables" des crimes dans les procès pour terrorisme ? La question s'est invitée devant les deux cours d'assises qui jugent concomitamment à Paris l'attentat de Nice et, en appel, les attaques contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher.
Le 14 juillet 2016, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a foncé avec un camion-bélier sur la foule rassemblée sur la promenade des Anglais à Nice et tué 86 personnes, avant d'être abattu par la police.
Son carnage de quatre minutes et dix-sept secondes a été entièrement filmé par des caméras de vidéosurveillance.
L'opportunité de diffuser l'intégralité de ces images a été posée dès le deuxième jour du procès de l'attentat qui s'est ouvert le 5 septembre devant la cour d'assises spéciale de Paris.
La vidéo sera finalement montrée jeudi "en fin de matinée", a annoncé mercredi le président Laurent Raviot après avoir visionné lui-même les images pour l'instant sous scellés.
La vidéo pourra être vue par tous, y compris le public et la presse, à Paris comme dans la salle de retransmission à Nice, a également tranché la cour.
Mais "il n'y a aucune obligation à (les) regarder. Les personnes qui hésitent à regarder ces images, je leur conseille vivement de ne pas le faire", a averti Laurent Raviot.
"C'est un vrai besoin qu'on a", a toutefois confié Stéphane Erbs, coprésident de l'association Promenade des anges, qui a perdu sa femme dans l'attaque. "Ma fille qui a 18 ans aujourd'hui veut aussi venir pour comprendre. Ça fait partie du travail de deuil".
La plupart des avocats de parties civiles sont favorables au visionnage, qui peut participer au processus de "reconstruction".
La défense estime qu'il n'apportera pas d'éléments sur la responsabilité des accusés, aucun n'étant jugé pour complicité, sans s'y opposer formellement. Tout comme le ministère public, qui a cependant mis en garde contre la "violence" des images.
Jusqu'où montrer l'horreur ?
Derrière ce débat, devenu récurrent dans les procès d'attentats, se pose la question de l'utilité de telles images pour la "manifestation de la vérité". En somme, jusqu'où montrer l'horreur ?
Au procès Merah en 2017, il avait été décidé de ne diffuser aucune vidéo des assassinats filmés par le "tueur au scooter", comme le réclamaient certaines parties civiles. La défense et l'accusation y étaient hostiles.
Au premier procès des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, le président de la cour avait mis son veto à la diffusion des images "de propagande" filmées par Amedy Coulibaly de ses assassinats dans la supérette juive.
Sans qu'il n'y ait eu de discussion, la cour avait en revanche fait projeter les images de la vidéosurveillance dans les locaux de Charlie Hebdo, ainsi que celles du meurtre du policier Ahmed Merabet par les frères Saïd et Chérif Kouachi.
Cette diffusion, sans avertissement clair sur la teneur des images, avait créé un certain émoi.
Cela explique-t-il les précautions prises depuis ?
Au procès des attentats du 13-Novembre, qui s'est achevé fin juin après dix mois d'audience, il aura fallu plusieurs débats pour que la cour - qui ne voulait "pas d'images inutilement choquantes" - décide de diffuser une sélection d'images et de l'enregistrement sonore de la tuerie du Bataclan.
"J'étais très prudent et très réservé sur la projection des images et des sons", a convenu le magistrat qui a présidé l'audience, Jean-Louis Périès, dans un entretien publié mardi par le journal Libération.
"Après les interventions des uns et des autres, on s'est rendu compte de la nécessité d'en diffuser plus que ce que j'avais prévu", a ajouté M. Périès.
La question a été soulevée et tranchée dès le début du procès en appel des attentats de janvier 2015, qui se déroule depuis lundi à Paris dans le même palais de justice que le procès de l'attentat de Nice.
Après avoir interrogé les positions des uns et des autres, la cour "a décidé de faire comme en première instance", soit de diffuser l'intégralité des images "indispensables", exception faite de celles "émanant" d'Amedy Coulibaly, a annoncé mardi le président Jean-Christophe Hullin.
Elles ont été projetées mardi soir à l'audience.