BRUXELLES: Trente-deux morts et beaucoup d'autres vies "détruites" par les graves blessures physiques ou psychologiques : les victimes des attentats jihadistes de mars 2016 à Bruxelles envisagent le procès, dont le coup d'envoi est donné lundi, comme une étape clé sur la voie de la reconstruction.
La cour d'assises de Bruxelles entame ses travaux avec une audience prévue sur une journée pour régler des questions de procédure, notamment l'ordre de passage des témoins.
Du côté de la défense des dix accusés, plusieurs avocats entendent protester contre les conditions de comparution dans des boxes individuels fermés, limitant, à leurs yeux, la possibilité de communiquer, selon des documents transmis à la presse.
Quant au djihadiste français Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos du 13 novembre 2015 à Paris et près de Paris (130 morts), qui compte parmi les accusés à Bruxelles, "il ne viendra pas" à cette audience préliminaire, a indiqué samedi à l'AFP son avocate Delphine Paci, sans se prononcer sur la suite.
Les attentats de Bruxelles ont été commis par la même cellule jihadiste que ceux du 13 novembre en France. Ils ont aussi été revendiqués par l'organisation État islamique. Trois hommes se sont fait exploser, deux à l'aéroport et un dans le métro, faisant des centaines de blessés en plus des 32 morts.
À ce stade, 960 parties civiles ont été recensées dans ce qui est présenté comme le plus grand procès jamais organisé en Belgique devant un jury populaire.
"Ma vie est complètement détruite, j'ai perdu mes amis, mon hobby de pilote", a confié Philippe Vandenberghe, une des ces parties civiles, un secouriste bénévole qui souffre de stress post-traumatique et fait encore des cauchemars.
Au matin du 22 mars 2016, ce cadre de l'aéroport de Bruxelles-Zaventem vient d'arriver à son bureau quand il entend la double d'explosion qui dévaste le rez-de-chaussée où des centaines de voyageurs attendent d'enregistrer leurs bagages.
«Le début d'autre chose»
Doté d'un brevet de secourisme, il se précipite au chevet des gens au sol, dans une épaisse fumée, au milieu des débris de verre et de métal.
"Je suis intervenu sur 18 personnes, je suis sûr d'avoir sauvé une femme", poursuit ce célibataire de 51 ans, rencontré chez lui à Louvain-la-Neuve (centre).
Au chômage, après avoir dû batailler avec son ex-employeur et les assurances sur la prise en charge des soins, il se reconstruit par la peinture et le suivi d'une formation d'ambulancier.
Lundi matin, M. Vandenberghe compte être présent pour découvrir dans leur box les suspects qui répondent d'"assassinats commis dans un contexte terroriste" et encourent la prison à perpétuité.
Pour lui, le procès doit être "le début d'autre chose". "On espère que nos souffrances seront reconnues, c'est ça l'important", dit-il.
"Je ne sais pas si on peut tourner la page, ce qui s'est passé existera toujours en nous", relève de son côté Sébastien Bellin, qui a perdu l'usage d'une jambe dans cet attentat.
Procès d'au moins huit mois
"J'ai évacué toute haine (contre les auteurs), cela pomperait l'énergie dont j'ai besoin pour me reconstruire. J'ai aussi accepté mon handicap", ajoute cet ancien basketteur professionnel de 44 ans. Il voit le procès comme "une étape importante dans (son) cheminement".
Lui aussi partie civile, traumatisé par "la situation de guerre" dont il a été témoin au métro Maelbeek (16 morts, autant qu'à Zaventem), l'ancien commissaire de police Christian De Coninck suivra les audiences à distance, doutant que les accusés apportent des éléments nouveaux.
"Ils ne valent pas la peine que je me déplace pour eux, je n'ai pas envie d'entendre toutes ces salades sur leur enfance malheureuse, l'influence d'un imam ou la nécessité de combattre pour le califat", déclare-t-il à l'AFP.
Six des dix accusés étaient déjà concernés par le procès du 13 novembre qui s'est achevé fin juin en France. Parmi eux Salah Abdeslam, condamné à la perpétuité incompressible à Paris, et le Belgo-Marocain Mohamed Abrini (perpétuité avec 22 ans de sûreté).
Après l'audience de lundi, la cour doit siéger à nouveau le 10 octobre pour désigner 12 jurés titulaires et 24 suppléants. Les débats s'ouvriront le 13 octobre pour au moins huit mois, jusqu'en juin.
Le procès se tient à l'ancien siège bruxellois de l'Otan, un bâtiment ultra-sécurisé mis temporairement à la disposition de la justice belge.