PARIS: Le procès de l'attentat de Nice s'est ouvert lundi après-midi à Paris, suscitant un mélange d'"impatience" et d'appréhension chez les victimes et leurs proches, six ans après l'attaque au camion-bélier qui avait fait 86 morts dans la foule venue assister au feu d'artifice du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais.
L'audience de la cour d'assises spéciale, présidée par le juge Laurent Raviot, a débuté peu avant 14H00 dans une salle remplie aux trois quarts, qui s'est peu à peu dégarnie au fil de l'après-midi.
Elle a été suspendue peu avant 20H00 après la longue énumération des personnes souhaitant se constituer partie civile. Elles étaient déjà 865 avant le procès mais d'autres peuvent le faire jusqu'aux réquisitions du parquet. 173 personnes non représentées par un avocat comptent se porter partie civile, a indiqué M. Raviot en fin d'audience.
L'audience doit reprendre mardi à 09H30 avec la fin des demandes de constitution de partie civile puis, dans l'après-midi, par l'exposé des faits par la cour. A l'issue de cet exposé, prévu pour durer entre deux et trois heures, les sept accusés présents auront pour la première fois l'occasion de s'exprimer.
Huit accusés sont jugés par la cour d'assises spéciale de Paris mais l'un d'entre eux, Brahim Tritrou, poursuivi pour trafic d'armes est actuellement détenu en Tunisie et sera "jugé par défaut".
Trois accusés se trouvent dans le box, Ramzi Arefa, Chokri Chafroud (en détention provisoire) et Artan Henaj (condamné dans une autre affaire). Quatre - Maksim Celaj, Endri Elezi, Mohamed Ghraieb et Enkeledja Zace - comparaissent libres sous contrôle judiciaire.
Alors que le président rappelait aux accusés leur droit au silence, Endri Elezi, en T-shirt blanc et pantalon de survêtement gris, demande en albanais au président: "c'est quoi le mieux?" "Voyez avec votre avocat", répond le président au jeune homme de 30 ans, renvoyé pour trafic d'armes.
"Je souhaiterais plutôt répondre à toutes vos questions", a de son côté déclaré Chokri Chafroud, Tunisien de 43 ans, qui s'exprime en arabe.
86 personnes ont perdu la vie et plus de 450 autres ont été blessées dans l'attentat, le plus meurtrier en France après ceux du 13 novembre 2015 contre le Stade de France, le Bataclan et les terrasses parisiennes.
L'assaillant, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans tué par la police le soir de l'attentat, est le grand absent du procès.
L'audience se tient dans la même salle spécialement construite pour le procès du 13-Novembre, avec des mesures de sécurité toutefois sensiblement allégées aux abords du palais de justice de Paris.
A Nice, où l'audience est retransmise dans une salle de congrès spécialement aménagée, seule une poignée de parties civiles s'étaient déplacées lundi, selon un journaliste de l'AFP.
"Ca fait six ans qu'on attend, le procès pour nous va être très dur, mais c'est important de pouvoir s'exprimer sur ce qu'on a vécu (...), que tout le monde puisse ressentir le drame qu'on a dû vivre", a témoigné Seloua Mensi, qui a perdu sa sœur dans l'attentat.
Même sentiments mêlés à Paris pour Véronique Marchand, 64 ans, dont le mari a été tué dans l'attentat. Venue de Saône-et-Loire pour ce premier jour d'audience, elle est convaincue "qu'il y avait de la complicité" chez certains accusés et attend du procès qu'il établisse "à quel degré".
«Nuit d'horreur absolue»
Aucun accusé n'est toutefois renvoyé pour ce motif. Trois d'entre eux (Ramzi Arefa, Chokri Chafroud et Mohamed Ghraieb) sont poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste. En état de récidive légale, le premier encourt la réclusion criminelle à perpétuité, les deux autres, vingt ans de réclusion.
L'enquête n'a pas permis de déterminer s'ils étaient au courant du projet d'attentat. Mais l'accusation souligne leur "très grande proximité" avec Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et estime qu'ils étaient "pleinement conscients" de son adhésion "à l'idéologie du jihad armé" et de "sa fascination pour les passages à l'acte violents".
Ce chauffeur-livreur au caractère instable était plus connu pour des actes de violence, notamment contre son épouse, que pour sa proximité avec la mouvance jihadiste.
Selon l'accusation, ce n'est qu'une dizaine de jours avant l'attentat qu'il a montré des signes de radicalisation, même s'il "s'était inscrit dans une démarche idéologique d'inspiration jihadiste plusieurs mois avant".
Si l'organisation Etat islamique a revendiqué l'attentat, l'enquête n'a pu établir aucun lien direct entre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et le groupe jihadiste.
Les cinq autres accusés sont poursuivis pour des délits de droit commun - association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes - et encourent cinq à dix ans d'emprisonnement.
Le procès doit se dérouler jusqu'au 16 décembre. Cinq semaines seront consacrées à la parole des parties civiles. 240 d'entre elles ont prévu de témoigner à la barre. "La cour ne pourra pas en entendre 500 ou 600. On ne pourra pas déborder sur l'année prochaine. Il va falloir faire des choix", a fait remarquer M. Raviot aux avocats.
Toutes les demandes de constitution de partie civile ne seront pas acceptées, ont aussi rappelé les représentants du parquet national antiterroriste, soulignant que si ce débat pouvait sembler "indécent" face à la "nuit d'horreur absolue" qu'a été le 14 juillet 2016, il était "nécessaire d'un point de vue strict du droit".