ANKARA: Dans une démarche qui risque d'augmenter les tensions entre Ankara et Paris, le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé lundi la dissolution en France du groupe ultra-nationaliste turc les «loups gris».
Le groupe est directement lié au Parti du mouvement nationaliste (MHP), un allié politique du gouvernement au pouvoir en Turquie.
Au cours du conflit en cours dans le Haut-Karabakh, où la France et la Turquie soutiennent des camps opposés, le groupe est devenu célèbre pour ses marches de «Chasse aux Arméniens» en France. Il aurait aussi vandalisé le mémorial du génocide arménien à l'extérieur de Lyon avec des graffitis à la gloire du nationalisme turc et du président Recep Tayyip Erdogan.
Pendant la marche, les membres du groupe ont menacé les Arméniens avec des slogans tels que «Nous allons les tuer». Quatre personnes ont été blessées à Lyon mercredi dernier lors d’affrontements entre les nationalistes turcs et les Arméniens qui protestaient contre les actions militaires de l’Azerbaïdjan.
La dissolution du groupe, réclamée par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme et le Conseil de coordination des organisations arméniennes en France, sera discutée mercredi par le conseil des ministres français.
Le groupe a été fondé dans les années 1960 en Turquie comme branche militante du MHP. Il avait pour mission de semer le chaos dans les rues dans les années 1970 et 1980, lors des combats contre les gauchistes et ont été également responsables de nombreux assassinats.
Leur salut – le pouce touchant le bout des deux doigts du milieu, et l'index et l'auriculaire levés – est considéré comme néofasciste et est interdit en Autriche depuis l’année dernière. Une interdiction similaire est envisagée en Allemagne.
Au mois d’août de cette année, le Conseil des affaires internationales de la Russie, un groupe de réflexion pro-Kremlin, a également qualifié le groupe d'organisation d’«extrémiste».
«Les loups gris» ont des branches actives dans les pays européens à forte population turque, comme l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et la France.
Samim Akgonul, politologue à l'université de Strasbourg en France, a déclaré que «les loups gris» ne sont pas l'organisation turque la plus visible en France, mais qu'ils sont actifs de temps en temps, en particulier lors de crises liées à la question arménienne, comme les lois commémoratives françaises reconnaissant le génocide arménien. «Historiquement, les partisans du parti d'extrême droite turc MHP sont organisés de manière autonome en Europe, indépendamment des organes officiels de la Turquie tels que l'Union islamique turque pour les affaires religieuses (DITIB) ainsi que la division européenne de la Direction des affaires religieuses de Turquie», a-t-il déclaré à Arab News.
Akgonul a aussi déclaré que depuis la coalition entre le parti au pouvoir pour la justice et le développement (AKP) et le MHP en Turquie en 2013, la mobilisation des «loups gris» en faveur de l'État turc et du président était devenue beaucoup plus fréquente, en particulier à Lyon et à Paris.
Mehmet Ali Agca, l'ultra-nationaliste turc qui a tenté d'assassiner le pape Jean-Paul II en 1981, était également lié au groupe.
Selon Akgonul, la raison principale de leur interdiction en France est leur récente activité contre les Franco-Arméniens à la suite d’un climat de violence générale.
Il a déclaré qu'ils étaient eux aussi des victimes collatérales de la terreur islamiste en France, et de la réaction du président Erdogan à ces actes de terreur.
Ni le gouvernement turc ni son partenaire nationaliste n'ont encore réagi à la déclaration du ministre français Darmanin concernant la dissolution du groupe.
L'expert turc Matthew Goldman, de l'Institut suédois de recherche à Istanbul, a constaté que les «loups gris» ne sont pas un groupe officiellement organisé en France et que l'annonce de Darmanin de «dissoudre» ce soi-disant groupe laisse de nombreuses questions sans réponse jusqu'à ce que les ministres discutent de la question mercredi.
«La politicienne d'extrême droite Marine Le Pen a accusé Darmanin d’utiliser des mots vides de sens, tweetant qu'il est insensé de prétendre dissoudre un groupe qui n'est pas réellement organisé. Au lieu de cela, elle a appelé à la fermeture de la Confédération islamique Milli Gorus, connectée directement à l'AKP, qui est une organisation officielle avec 70 mosquées en France», a-t-elle déclaré à Arab News.
Et comme le président français, Emmanuel Macron, veut rivaliser avec Le Pen pour montrer qu'il est dur à la fois avec la Turquie et l'islamisme, Goldman se demande s’il ne tournera pas ensuite son attention vers Milli Gorus.
La police allemande a récemment pris d'assaut une mosquée Milli Gorus à Berlin dans le cadre d'une enquête sur une fraude liée à un programme de subvention de la Covid-19, provoquant une réaction très vive d'Erdogan.
Goldman a déclaré que si les autorités françaises s'attaquent à Milli Gorus, cela susciterait probablement une forte riposte de la part d'Ankara.
«Les agressions des “loups gris”, qui réagissent à la fois à la guerre du Haut-Karabakh et au différend France-Turquie, semblent être le pire des deux mondes pour le public français: la violence des gangs de rue et la violence islamiste, même si les “loups gris” sont en réalité plus nationalistes qu'islamistes», a-t-il déclaré.
«Espérons que les autorités françaises soient en mesure de prévenir de nouvelles violences, alors qu’elles luttent déjà pour contrôler la pandémie de coronavirus et les manifestations anticonfinement. La situation est propice aux conflits», a ajouté Goldman.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.co