L'Irak retrouve sa normalité, mais une solution politique est encore loin

Cette photo prise le 30 août 2022 montre une vue des campements restants des partisans du religieux musulman chiite Moqtada al-Sadr avant leur démantèlement dans la zone verte de haute sécurité de la capitale Bagdad. (AFP)
Cette photo prise le 30 août 2022 montre une vue des campements restants des partisans du religieux musulman chiite Moqtada al-Sadr avant leur démantèlement dans la zone verte de haute sécurité de la capitale Bagdad. (AFP)
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Publié le Mercredi 31 août 2022

L'Irak retrouve sa normalité, mais une solution politique est encore loin

  • Le déchaînement de violence armée dans le secteur ultra-protégé de la capitale, qui abrite ambassades et ministères, a fait 30 morts et près de 600 blessés dans les rangs des partisans de Moqtada Sadr
  • Preuve, s'il en fallait une, de son autorité: dans la minute où il leur a ordonné de se retirer mardi, les armes se sont tues et les combattants ont déserté la Zone Verte

BAGDAD: Le calme règne à Bagdad mercredi après environ 24 heures de violences meurtrières en Irak, mais l'impasse politique qui s'éternise depuis près d'un an ne semble guère vouloir s'apaiser, malgré une nouvelle offre de sortie de crise.

Le déchaînement de violence armée dans le secteur ultra-protégé de la capitale, qui abrite ambassades et ministères, a fait 30 morts et près de 600 blessés dans les rangs des partisans de Moqtada Sadr, le leader chiite qui a mis le feu aux poudres en annonçant lundi son "retrait définitif" de la politique.

Preuve, s'il en fallait une, de son autorité: dans la minute où il leur a ordonné de se retirer mardi, les armes se sont tues et les combattants ont déserté la Zone Verte.

Mercredi, le couvre-feu décrété par l'armée n'était qu'un souvenir. Bagdad a renoué avec les embouteillages, les commerces ont rouvert et "les examens scolaires vont reprendre", comme l'a indiqué le ministère de l'Education.

Pendant près de 24 heures, entre lundi et mardi, les Brigades de la paix de Moqtada Sadr ont affronté des unités de l'armée irakienne et des hommes du Hachd al-Chaabi, d'anciens paramilitaires pro-Iran intégrés aux troupes régulières.

Ces violences sont le point d'orgue de la crise politique que traverse l'Irak depuis les élections législatives d'octobre 2021.

Le pays, riche en pétrole mais accablé par une crise sociale et économique, n'a toujours pas de nouveau Premier ministre ni de nouveau gouvernement.

Car les caciques du chiisme politique, dont Moqtada Sadr, n'ont pas réussi à se mettre d'accord.

Pour sortir de la crise, Moqtada Sadr et ses adversaires du Cadre de coordination, alliance de partis pro-Iran, s'accordent sur un point: il faut de nouvelles élections. Mais si Moqtada Sadr insiste pour dissoudre le Parlement avant tout, ses rivaux veulent d'abord la formation d'un gouvernement.

Mardi soir, dans une allocution télévisée le président Barham Saleh a estimé que de nouvelles législatives anticipées pourraient "représenter une sortie de cette crise accablante".

Mais avant que des législatives soient organisées, le Parlement doit d'abord être dissous. Or, une dissolution ne peut être actée que par un vote des députés à la majorité absolue, selon la Constitution. Elle peut être demandée par un tiers des élus ou par le Premier ministre avec l'accord du président de la République.

Le Premier ministre Moustafa al-Kazimi a pour sa part menacé de démissionner si la paralysie politique se poursuit.

"S'ils veulent continuer à semer le chaos, le conflit, la discorde et la rivalité (...) je prendrai la mesure morale et patriotique qui s'impose et quitterai mon poste au moment opportun", a-t-il dit dans un discours.

«Retenir les chameaux»

Mais les intentions des deux grands blocs du chiisme sont difficilement conciliables.

D'un côté, le Cadre de coordination campe sur ses positions. Dans un communiqué publié mardi, ses responsables ont réitéré leur volonté de former un gouvernement "qui entreprendra des réformes et combattra la corruption".

De l'autre, les sadristes sont dans l'immédiat sans boussole après l'annonce de la "retraite" de leur chef.

Dans son discours mardi, par lequel il a mis fin aux violences, Moqtada Sadr n'a pas fait mine de vouloir s'engager dans des négociations -- en surface du moins.

Et la "révolution" contre le système politique actuel et la corruption qu'il appelait de ses voeux semble n'être plus qu'un souvenir.

"Honte à cette révolution. Peu importe qui en est l'initiateur, cette révolution, tant qu'elle est entachée de violence, n'est pas une révolution", a-t-il déclaré dans son discours.

Mercredi, un proche de Moqtada Sadr, Saleh Mohammed al-Iraki, s'est montré particulièrement offensif envers le Cadre de coordination, appelant l'Iran à "retenir ses chameaux irakiens, sinon il n'y aura pas de place pour les regrets".

Le Cadre de coordination est la vitrine politique du Hachd al-Chaabi, dont la proximité avec l'Iran ulcère nombre d'Irakiens.

Dans ces joutes armées et verbales entre les sadristes et le Cadre de coordination, "le plus grand perdant est l'Etat qui observe sans rien faire pendant que deux puissants groupes armés se battent pour le pouvoir", a estimé Sajjad Jiyad, analyste au think-thank Century International.

"Tant qu'aucune solution adéquate n'aura été trouvée, davantage de manifestations et de violences sont possibles", a-t-il écrit sur Twitter.


L'Irak demande le départ de la mission de l'ONU d'ici fin 2025

Photo d'archives du Premier ministre irakien Mohamed Shia al-Sudani s'adressant à la 78e Assemblée générale des Nations Unies au siège de l'ONU à New York, le 22 septembre 2023. (AFP)
Photo d'archives du Premier ministre irakien Mohamed Shia al-Sudani s'adressant à la 78e Assemblée générale des Nations Unies au siège de l'ONU à New York, le 22 septembre 2023. (AFP)
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  • «Après 20 ans de transition démocratique et de défis variés surmontés, les raisons de la présence d'une mission politique en Irak n'existent plus», a écrit le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani dans une lettre adressée au Conseil de sécurité
  • Le mandat de la mission créée par le Conseil de sécurité en 2003 à la demande du gouvernement irakien, inclut le soutien du gouvernement pour un dialogue politique inclusif

NATIONS UNIES : Le gouvernement irakien a demandé à l'ONU de mettre un terme d'ici fin 2025 à sa mission politique présente dans le pays depuis plus de 20 ans, estimant qu'elle n'était plus nécessaire, selon une lettre vue vendredi par l'AFP.

Dans cette lettre adressée au Conseil de sécurité, le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani décrit «les développements positifs et les succès» des gouvernements successifs et l'accomplissement du mandat de la mission d'assistance des Nations unies pour l'Irak (Manui), présente depuis 2003.

Dans ces circonstances, «après 20 ans de transition démocratique et de défis variés surmontés, les raisons de la présence d'une mission politique en Irak n'existent plus», poursuit-il.

Ainsi, «nous appelons à la fin du mandat de la mission (...) de façon permanente le 31 décembre 2025». A condition que la Manui se concentre d'ici là sur les dossiers liés à la réforme économique, à la lutte contre le changement climatique et aux questions de développement.

Le mandat de la mission créée par le Conseil de sécurité en 2003 à la demande du gouvernement irakien, renforcé en 2007, et renouvelé chaque année, inclut aussi le soutien du gouvernement pour un dialogue politique inclusif et la réconciliation nationale, l'organisation des élections ou la réforme du secteur de la sécurité.

Lors du dernier renouvellement du mandat en mai 2023, le Conseil, qui doit débattre de cette question la semaine prochaine, avait demandé au secrétaire général de lancer un examen stratégique de la mission, confié au diplomate allemand Volker Perthes.

Dans ses conclusions remises en mars, il notait que «compte tenu des menaces et défis actuels pour la paix et la sécurité de l'Irak», les «fonctions politiques de base de la Manui (...) restent pertinentes».

Toutefois, la mission, qui comptait fin 2023 plus de 700 personnes, «dans sa forme actuelle, semble trop importante», estimait-il, appelant à commencer à transférer ses tâches aux autorités nationales compétentes et à d'autres entités de l'ONU sur place «de manière responsable, ordonnée, graduelle».

Il concluait que «la période de deux ans identifiée par le gouvernement pour le retrait de la mission pourrait être un laps de temps suffisant pour faire plus de progrès et rassurer les plus sceptiques dans le paysage politique et sociétal irakien» sur le fait que cette transition «ne provoquera pas un recul des avancées démocratiques ou ne menacera pas la paix et la sécurité».


L'émir du Koweit dissout le Parlement dans une nouvelle crise politique

L'émir du Koweït, le cheikh Meshal Al-Ahmad Al-Sabah, a dissous le Parlement et suspendu certains articles de la Constitution pour une durée maximale de quatre ans. (AFP/File Photo)
L'émir du Koweït, le cheikh Meshal Al-Ahmad Al-Sabah, a dissous le Parlement et suspendu certains articles de la Constitution pour une durée maximale de quatre ans. (AFP/File Photo)
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  • Le Cheikh Meshal al-Ahmad al-Sabah, et le conseil des ministres «assument les pouvoirs accordés à l'Assemblée nationale» pour mettre fin à un blocage institutionnel
  • Le Parlement, élu début avril, devait se réunir pour la première fois lundi. Mais plusieurs députés ont refusé de participer au gouvernement

KOWEÏT : L'émir du Koweït a dissous le Parlement vendredi et a assumé certaines fonctions gouvernementales à peine six semaines après les élections dans ce pays du Golfe riche en pétrole qui connaît des crises politiques à répétition, ont rapporté les médias d'État.

«Un ordre de l'émir a été émis pour dissoudre l'Assemblée nationale et suspendre certains articles de la Constitution pour une période n'excédant pas quatre ans», a affirmé l'agence de presse koweïtienne Kuna.

Elle a ajouté que l'émir, le Cheikh Meshal al-Ahmad al-Sabah, et le conseil des ministres «assumaient les pouvoirs accordés à l'Assemblée nationale» pour mettre fin à un blocage institutionnel.

«Nous avons été confrontés à des difficultés et à des obstacles qui ne peuvent être tolérés», a déclaré le chef de l'Etat dans un discours diffusé à la télévision officielle, accusant certains députés de chercher à «interférer» avec ses pouvoirs régaliens.

Le Parlement, élu début avril, devait se réunir pour la première fois lundi. Mais plusieurs députés ont refusé de participer au gouvernement.

La constitution du Koweït exige qu'au moins un député détienne un portefeuille ministériel jusqu'à ce que la formation du gouvernement soit achevée. Mais le Premier ministre désigné n'est pas parvenu à convaincre un seul député de participer.

Le cheikh Meshal al-Ahmad al-Sabah a estimé que l'incapacité à former un gouvernement était le résultat des «diktats et des conditions de certains» députés.

Contrairement aux autres monarchies de la région, le Koweït, membre de l'Opep, est doté d'un Parlement influent, même si les clés du pouvoir restent essentiellement aux mains de la famille régnante al-Sabah.

Les députés, élus pour quatre ans, disposent d'importantes prérogatives. Leurs querelles permanentes avec l'exécutif ont abouti à une valse de gouvernements et à la dissolution de l'Assemblée à plus de dix reprises depuis l'adoption du système parlementaire en 1962.

Le Koweït, frontalier de l'Arabie saoudite et de l'Irak, renferme 7% des réserves mondiales de brut. Il possède l'un des fonds souverains les plus puissants au monde.

Cependant, les crises à répétition entre le Parlement et le gouvernement ont empêché l'adoption des réformes pour diversifier son économie.


Washington juge vraisemblable qu'Israël ait violé le droit à Gaza, sans suspendre l'envoi d'armes

Israël a lancé une vaste campagne militaire contre le Hamas après l'attaque la plus meurtrière jamais menée par les militants contre le pays le 7 octobre. (File/AFP)
Israël a lancé une vaste campagne militaire contre le Hamas après l'attaque la plus meurtrière jamais menée par les militants contre le pays le 7 octobre. (File/AFP)
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  • Le rapport, très attendu et rendu public vendredi, indique qu'il est «raisonnable d'estimer» qu'Israël a utilisé des armes d'une manière incompatible avec le droit humanitaire international et donc la loi américaine
  • Le rapport indique cependant que « que les Etats-Unis n'ont pas pu parvenir à ce stade à des «conclusions» définitives, faute d'informations suffisantes »

WASHINGTON : Les Etats-Unis jugent vraisemblable qu'Israël ait violé le droit humanitaire international à Gaza sans pouvoir toutefois le conclure de manière définitive, et continueront à livrer des armes à ce pays, selon un rapport du département d'Etat.

Le rapport, très attendu et rendu public vendredi, indique qu'il est «raisonnable d'estimer» qu'Israël a utilisé des armes d'une manière incompatible avec le droit humanitaire international et donc la loi américaine, mais que les Etats-Unis n'ont pas pu parvenir à ce stade à des «conclusions» définitives, faute d'informations suffisantes.

Dans le cas contraire, les Etats-Unis auraient été contraints de cesser la livraison d'armes à Israël pour sa guerre contre le Hamas, lancée en représailles à l'attaque sanglante du mouvement islamiste palestinien le 7 octobre, et qui a fait des dizaines de milliers de victimes palestiniennes.

Ce rapport avait été mandaté par le président Joe Biden sous pression d'élus démocrates dénonçant l'emploi d'armes fournies par l'administration Biden, au risque de voir les Etats-Unis devenir «complices».

Il intervient peu après que le président américain a publiquement menacé de suspendre la livraison de certaines catégories d'armes à Israël, notamment des obus d'artillerie, si Israël lançait une offensive majeure dans la ville surpeuplée de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, à laquelle il s'oppose.

Cette évaluation ne remet pas toutefois en cause la décision des Etats-Unis de suspendre la livraison la semaine dernière d'une cargaison de munitions et de bombes destinées à Israël, par crainte qu'elles ne servent dans l'offensive à Rafah.

- Garanties -

Le président américain avait lui-même mandaté le département d'Etat en février dernier pour examiner si l'emploi par des pays engagés dans un conflit actif et bénéficiant de l'aide militaire américaine, dont Israël, respectaient la loi américaine.

«La nature du conflit à Gaza fait qu'il est difficile d'évaluer ou de tirer des conclusions sur des incidents individuels», constate le rapport qui a été transmis au Congrès.

«Néanmoins, étant donné la dépendance significative d'Israël à l'égard des articles de défense fabriqués aux Etats-Unis, il est raisonnable d'estimer que les articles de défense (...) ont été utilisés par les forces de sécurité israéliennes depuis le 7 octobre dans des cas incompatibles avec ses obligations en matière de droit international humanitaire», poursuit le rapport.

Toutefois, en dépit de certaines «sérieuses préoccupations», les pays recevant une aide militaire américaine ont donné des «garanties suffisamment crédibles et fiables pour permettre la poursuite de la fourniture» d'armes, conclut le rapport.

Outre Israël, le rapport traite de six autres pays bénéficiaires de l'aide militaire américaine: la Colombie, l'Irak, le Kenya, le Nigeria, la Somalie et l'Ukraine.

Un haut responsable américain a expliqué sous couvert d'anonymat que cela ne préjugeait pas d'évaluations futures et que le département d'Etat continuerait de surveiller comment les armes américaines sont utilisées sur le champ de bataille.

Le rapport indique également que si les forces de défense israéliennes disposent «des connaissances, de l'expérience et des outils» nécessaires pour minimiser les dommages aux civils, «les résultats sur le terrain, notamment le nombre élevé de victimes civiles, soulèvent des questions importantes quant à l'efficacité avec laquelle les forces de défense israéliennes les utilisent».

Un deuxième volet porte sur l'aide humanitaire pour la bande de Gaza, au bord de la famine après sept mois de guerre.

Là aussi, le rapport indique que si les Etats-Unis estiment qu'Israël par «ses actes ou inaction» a contribué au désastre humanitaire en cours, ils ne concluent pas que les autorités israéliennes aient délibérément «interdit ou restreint» l'acheminement et le transport de cette aide.

«Il est difficile de croire que l'administration voit ce qui se passe à Gaza sans conclure qu'Israël a violé les conditions d'utilisation des armes américaines», a dénoncé dans un communiqué Patrick Gaspard, du Center for American Progress, un centre de recherche.