PARIS: Visé par une demande d’expulsion vers le Maroc par le Conseil d’État français, l’imam Hassan Iquioussen a pris la fuite dans la nuit de mardi à mercredi, selon plusieurs médias français et marocains.
Mardi, à la suite de la décision du Conseil d’État, qui a donné son feu vert à l’expulsion de l’imam vers le Maroc, la police s’est rendue dans l’après-midi au domicile du prédicateur de nationalité marocaine, à Lourches, près de Valenciennes (Nord), afin de l’interpeller pour l’expulser vers le Maroc. Cependant, l'un de ses fils leur aurait indiqué qu’il ne se trouvait pas à son domicile, selon Europe 1.
La classe politique n’a pas manqué de réagir à la fuite de l’imam. Le député LR Éric Ciotti a estimé que son départ était une «humiliation pour notre pays». Pour sa part, la vice-présidente RN de l’Assemblée nationale, Hélène Laporte, a déploré que «bien que fiché S depuis dix-huit mois, l’imam Iquioussen soit introuvable malgré la surveillance de l’État».
Le fils de l’imam, quant à lui, a témoigné sur RMC, affirmant ne pas comprendre le dispositif déployé contre son père. Soufiane Iquioussen indique être sous le choc et assure «ne pas avoir de nouvelles» de son père.
Le préfet des Hauts-de-France, Georges-François Leclerc, a affirmé mercredi que Hassan Iquioussen était susceptible d'avoir pris la fuite en Belgique.
«Le scénario qui est aujourd'hui privilégié est une fuite en Belgique de M. Iquioussen», a déclaré le préfet lors d'une conférence de presse, qualifiant le prédicateur, mis en cause pour des propos jugés contraires aux valeurs de la République, de «délinquant» dès lors «qu'il s’est soustrait à un arrêt d’expulsion».
Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin a précisé en début de soirée qu'il donnerait à son homologue belge "des informations" sur l'imam Hassan Iquioussen, qui serait "manifestement en Belgique", afin qu'il ne puisse "pas venir en France".
"Il sera interdit de venir en France. Tant mieux", a ajouté le ministre sur la chaîne de télévision France 5, alors qu'un début de polémique a commencé à poindre avec l'annonce de la fuite de l'imam.
M. Darmanin a affirmé en outre que le gouvernement avait "pris des actes administratifs très importants pour l'empêcher de revenir" en France.
À la question de savoir si les autorités n'avaient pas été suffisamment vigilantes pour l'empêcher de partir, M. Darmanin a répliqué que la France n'était "pas une dictature".
"Le droit ne permet pas de mettre dans des prisons en (détention) préventive avant que quelqu'un ne soit condamné", a souligné le ministre.
Avant la décision du Conseil d'Etat, "il n'était pas fugitif délinquant", a-t-il ajouté.
Le Maroc suspend le «laissez-passer consulaire» permettant de l'accueillir
Le Maroc a suspendu le "laissez-passer consulaire" qu'il avait délivré le 1er août à l'imam Hassan Iquioussen afin de permettre son expulsion par la France vers ce pays, a appris mercredi l'AFP de source proche du dossier.
Cette source proche du Maroc a expliqué cette décision par le fait qu'il "n'y avait pas eu de concertations avec les autorités marocaines", au lendemain de la décision du Conseil d’État ouvrant la voie à son expulsion. La décision d'expulsion est "unilatérale", a-t-on ajouté.
Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on a rappelé que la validité d'un laissez-passer était de "60 jours", soulignant qu'il serait "incompréhensible que ce document qui n'a d'autre fonction que d'officialiser la reconnaissance par le Maroc de la nationalité de M. Iquioussen soit suspendu".
"Comment peut-on reconnaître la nationalité d’un de ses ressortissants un jour et ne plus la reconnaître le lendemain ?", s'est étonné l'entourage de Gérald Darmanin.
Hassan Iquioussen est un imam marocain de 58 ans qui est né et réside en France. Il a cinq enfants et quinze petits-enfants, tous français. Selon le ministère de l’Intérieur, le prédicateur a fait le choix à sa majorité de «répudier» la nationalité française. Il est dans le radar des services de renseignement depuis des années, et fiché S depuis un an et demi.
Homme à la réputation sulfureuse, il n'a jamais caché ses sympathies pour la mouvance islamiste des Frères musulmans ni son adoration pour Oussama ben Laden, «grand combattant contre les Américains» et «grand défenseur de l'islam». «Ce sont ses propos, ses croyances et ses agressions verbales qui se transforment en violence physique. Du coup, à un moment donné, des frappes terroristes peuvent survenir», estime Christian Gravel, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).
Le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin avait salué la décision d'expulser l'imam pour «discours de haine» et «rhétorique antisémite» considérant cette expulsion comme une «victoire de la république».
Iquioussen a réussi à réunir autour de lui un large public qui écoute ses prêches dans les mosquées ou en ligne. Il a atteint 174 000 abonnés sur YouTube et 44 000 sur Facebook.
«Incitation à la haine»
Dans son arrêté d'expulsion, le ministère de l'intérieur a notamment reproché à l'imam «un discours à teneur antisémite particulièrement virulent». Dans des vidéos diffusées sur internet, Iquioussen décrit les juifs comme «avares et usuraires», les accusant d'être «les meilleurs de la trahison et du crime» et d'éviter «les autres qu'ils considèrent comme des esclaves». «Souvenez-vous de cela, parce que vous comprendrez ce qui se passe aujourd'hui. Les juifs ont continué à comploter contre l'islam et les musulmans», a-t-il affirmé.
D’autre part, l’imam a fait des remarques complotistes et a suggéré que les frappes terroristes dans les pays occidentaux sont des «pseudo-attaques» orchestrées pour alimenter l'islamophobie.
«Vous connaissez ce film, ces dessins animés, c'est quoi le but? Ce n'est pas que les non- musulmans nous détestent, c'est déjà fait, ils l'ont fait avec le 11-septembre, ils l'ont fait avec le 18 juillet, Londres, Madrid. Vous voyez toutes ces pseudo-affaires? Oui? Ces pseudo-attaques visent à effrayer les non-musulmans dans la peur de l'islam et des musulmans», a-t-il déclaré.
Une "carence" administrative
Passer la frontière belge pour éviter une expulsion vers le Maroc, un délit ? Pas forcément. L'imam Iquioussen, dont la France pense qu'il a fui pour se soustraire à son éloignement, a plutôt profité d'une "carence dans la loi", estiment les spécialistes.
Selon les spécialistes de ces procédures, l'imam aux 178.000 abonnés sur YouTube n'a commis aucune infraction pour ce qui est de son expulsion.
"Cet imam a profité d'une carence dans la loi", estime Amine Elbahi, juriste en droit public, interrogé sur BFM TV.
Hassan Iquioussen, 58 ans, n'est en effet pas visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui l'aurait obligé à être reconduit dans son pays d'origine (le plus souvent après avoir été placé en centre de rétention), mais par un arrêté d'expulsion, signé le 29 juillet par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin lui-même.
"Le principe d'un tel arrêté est simplement qu'il quitte le territoire français, sans aucune obligation de retour dans le pays d'origine. Donc il n'est pas en infraction, ni n'a commis de délit s'il est bien en Belgique", abonde auprès de l'AFP Serge Slama, professeur de droit public et spécialiste du droit constitutionnel.
Les autorités belges, elles, ont indiqué ne pas rechercher l'imam, qui fait l'objet d'une procédure administrative seulement en France.
Une pensée misogyne «dominante»
«Il est regrettable qu'aujourd'hui les femmes considèrent que servir leur mari et leurs enfants est une punition, alors que c'est une bénédiction», a également affirmé Iquioussen.
En 2014, sur sa chaîne YouTube, Iquioussen s'est moqué d’une téléspectatrice qui lui a dit qu'elle n'appréciait pas son commentaire selon lequel «la place de la femme est dans la cuisine». En effet, l’imam avait déclaré que «la place de la femme est dans la cuisine, dans le salon». «Je ne vois pas pourquoi vous êtes allergique à la cuisine. Vous pensez que nous sommes misogynes. Mais, il est évident que c'est la femme qui est plus souvent dans la cuisine que l'homme. Généralement, si l'homme est dans la cuisine, c’est pour ouvrir le frigo, ce n'est pas pour faire la vaisselle ou préparer à manger.»
Un combat judiciaire
L'avocate de l'imam, Me Lucie Simon, a réagi sur le même réseau social en estimant que cette décision symbolisait «un État de droit affaibli» et a déploré «un contexte alarmant de pression de l’exécutif sur le judiciaire».
«Le combat judiciaire continue, le tribunal administratif de Paris sera amené à se pencher sur le fond du dossier prochainement et Hassan Iquioussen étudie la possibilité de saisir de nouveau la CEDH», a-t-elle expliqué
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait refusé de suspendre l'expulsion début août, expliquant qu'elle n'accordait des mesures provisoires de suspension «qu'à titre exceptionnel», lorsque le requérant est exposé «à un risque réel de dommages irréparables».
Les accusations «d'incitation à la haine» et d'antisémitisme découlent de propos tenus lors de discours publics prononcés entre 2003 et 2019.
(Avec AFP)