PRAGUE: La République tchèque, qui assure actuellement la présidence de l'Union européenne, s'est heurtée mardi à une forte résistance de certains États membres concernant les mesures visant à limiter les déplacements des Russes suite à l'invasion de l'Ukraine.
Les Tchèques veulent suspendre l'accord de 2007 qui facilitait les demandes de visa pour les touristes russes, tandis que d'autres membres ont demandé une interdiction pure et simple des visas.
Mais d'autres membres, dont la Hongrie, le Luxembourg ou l'Autriche, se sont élevés contre cette mesure.
"Il n'y a pas de place pour le tourisme", a déclaré le ministre tchèque des Affaires étrangères Jan Lipavsky aux journalistes, ajoutant que cette mesure "enverrait un signal à l'élite de Moscou et de Saint-Pétersbourg", aujourd'hui libre de voyager.
"Je ne pense pas que l'interdiction de visa soit une décision appropriée dans les circonstances actuelles", a déclaré, quant à lui, le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto, dont le pays a conservé des liens étroits avec le Kremlin.
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a également protesté contre une mesure touchant les Russes ordinaires. "Nous ne devons pas avoir un nouveau rideau de fer en Europe", a-t-il souligné. "Nous avons tous convenu dès le départ qu'il s'agissait de la guerre du (président russe Vladimir) Poutine".
Son homologue française a proposé de "distinguer entre les fauteurs de guerre, au premier rang desquels le président russe, son entourage et tous ceux qui soutiennent son effort de guerre, et les citoyens russes, les artistes, les étudiants, les journalistes par exemple".
"Et ceux-là, nous souhaitons, et nous devons, continuer à avoir des liens avec eux", a ajouté Catherine Colonna, rappelant que les oligarques russes, sous sanctions individuelles, ne viendront pas "faire leurs courses ni en France, ni en Europe".
Leur collègue autrichien, Alexander Schallenberg, a estimé de son côté que l'UE ne devait pas "porter un jugement catégorique sur 140 millions de personnes" en Russie.
Moscou répliquera si l'UE prive les Russes de visas
La Russie prendra des mesures de rétorsion si l'Union européenne décide de suspendre ses visas pour les Russes en réponse à l'offensive de Moscou en Ukraine, a mis en garde mardi le Kremlin.
Cet avertissement intervient alors que certains pays veulent interdire l'Europe aux touristes russes, quand d'autres préfèrent une mesure plus symbolique comme la suspension d'un accord prévoyant des facilités pour la délivrance de visas à certaines catégories de Russes.
Ce débat sera au coeur des discussions entre les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l'UE qui se réunissent mardi et mercredi à Prague.
"Nous savons qu'il y a des points de vue différents parmi les Européens, nous suivrons cela de près. C'est une décision très grave qui pourrait être prise contre nos citoyens et une telle décision ne saurait rester sans réponse", a déclaré le porte-parole eu Kremlin, Dmitri Peskov.
"En répliquant, il faudra faire en sorte de servir au mieux nos intérêts et protéger les intérêts de nos citoyens. Nous ne savons pas encore quelles mesures" les Européens prendront, a-t-il ajouté.
"Petit à petit, Bruxelles comme les capitales européennes affichent un manque total de jugement (...) Cette irrationalité, qui frôle la folie, permet à de telles mesures (sur les visas) d'être débattues", a lancé M. Peksov.
Les pays européens ont déjà imposé plusieurs trains de sanctions économiques à la Russie, pour punir Moscou de son offensive contre l'Ukraine.
En ce qui concerne les visas, une interdiction totale visant les Russes semble peu probable, en l'absence de consensus autour de cette mesure réclamée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Une telle interdiction des visas délivrés aux touristes russes pour l'espace Schengen, qui serait une mesure inédite, est notamment réclamée par les Pays baltes, mais l'Allemagne s'y oppose, et la Commission européenne n'y est pas favorable.
Les 26 pays de l'espace Schengen (22 Etats de l'UE, plus Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein) ont reçu en 2021 trois millions de demandes de visas de court séjour toutes catégories confondues (tourisme, études, voyages d'affaires...), les Russes étant les plus nombreux avec 536.000 demandes.
La République tchèque a cessé de délivrer des visas aux Russes, à quelques exceptions, le 25 février, un jour après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Les voisins de la Russie, l'Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, ont exhorté Bruxelles à interdire de délivrer aux touristes russes des visas pour l'espace Schengen.
Selon le ministre estonien des Affaires étrangères Urmas Reinsalu, il est temps de cibler les Russes ordinaires, après la suspension de l'octroi de visas aux délégations officielles et aux chefs d'entreprise russes.
"Ces personnes privées silencieuses devraient également comprendre qu'il y a des conséquences à la guerre", a-t-il déclaré. "Ce qui est littéralement payé par l'argent de leurs impôts, ce sont les bombes qui, maintenant, littéralement, en ce moment, tuent des enfants ukrainiens et bombardent (...) des hôpitaux, des jardins d'enfants, des écoles".
Le gouvernement allemand a proposé mardi un compromis.
"Cela peut être une très bonne voie de dire clairement que nous suspendons les accords sur la facilitation des visas, que nous ne délivrons plus de visas multiples ou de visas de plusieurs années", a déclaré la cheffe de la diplomatie allemande Annalena Baerbock, qui veut "rassembler les différents points de vue" au sein de l'UE pour trouver une solution européenne commune.