ANKARA: Israël et la Turquie ont annoncé le renforcement de leurs relations diplomatiques et le retour de leurs ambassadeurs et de leurs consuls généraux après des années de liens tendus entre les deux nations.
Le Premier ministre israélien, Yaïr Lapid, a salué cette percée diplomatique comme un «atout important pour la stabilité régionale et une nouvelle économique très importante pour les citoyens d'Israël».
Selon le Dr Nimrod Goren, président de l'Institut Mitvim et cofondateur de Diplomeds – le Conseil pour la diplomatie méditerranéenne –, l'annonce de ce renforcement des liens marque un succès diplomatique.
«C'est l'aboutissement d'un processus graduel qui s'est déroulé sur plus d'un an au cours duquel Israël et la Turquie se sont efforcés de rétablir la confiance, d’ouvrir de nouveaux canaux de dialogue, d'adopter un agenda positif, de redynamiser la coopération, de faire face aux défis sécuritaires et de trouver des moyens d’intégrer les différences», a déclaré M. Goren à Arab News.
«Sur la base de ces développements positifs, le rétablissement des relations au niveau des ambassadeurs est maintenant considéré comme une étape naturelle, peut-être même comme une étape attendue depuis longtemps», a-t-il ajouté.
«Il était important de sceller ce geste avant que la politique interne ne s'en mêle, alors que les élections dans les deux pays approchent», a précisé M. Goren.
Ce dernier a ajouté que le moment choisi «coïncide également avec les efforts déployés par Israël et la Turquie pour améliorer et approfondir leurs diverses relations dans la région».
La Turquie et Israël, autrefois alliés régionaux, ont expulsé leurs ambassadeurs en 2018 lorsque des dizaines de Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes au cours de manifestations qui se sont déroulées le long de la frontière de Gaza.
Les relations ont été complètement gelées après la mort de neuf militants turcs après un raid israélien, en 2010, sur le navire turc Mavi Marmara, qui se dirigeait vers Gaza.
Depuis, de nombreuses tentatives ont été faites pour rétablir les liens, notamment dans le secteur de l'énergie, du commerce et du tourisme, axes de coopération stratégiques.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le président israélien, Isaac Herzog, se sont entretenus au téléphone à plusieurs reprises et M. Herzog s'est rendu à Ankara en mars dernier.
Dans le cadre des efforts de renforcement de la confiance mutuelle, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, s'est également rendu à Jérusalem en mai, ce qui ne s’était pas produit depuis quinze ans. M. Lapid, qui était alors le ministre israélien des Affaires étrangères, lui a rendu sa visite au mois de juin.
Les deux pays ont également coopéré dans la lutte contre le terrorisme à la suite de complots iraniens qui visaient à assassiner un homme d'affaires turco-israélien ainsi que des touristes israéliens à Istanbul. La Turquie a pris des mesures pour limiter les mouvements du Hamas sur son territoire.
Les deux pays ont également signé un accord sur l'aviation civile le mois dernier.
Gokhan Cinkara, un expert de l'université Necmettin Erbakan, pense que les changements dans la géopolitique régionale sont les principaux déterminants des nouveaux efforts de normalisation de la Turquie.
«La compétition entre le statu quo et le révisionnisme dans la région est terminée. Par conséquent, chaque pays possède des alternatives et peut être remplacé, ce qui est également le cas de la Turquie. En raison de la crise économique et de l'impasse géopolitique que traverse le pays, il était inévitable que la Turquie cherche de nouvelles options», a-t-il déclaré à Arab News.
«La nomination de diplomates permettra aux relations bilatérales de continuer à fonctionner selon une routine institutionnelle.»
L'ambassadeur en Israël devrait être nommé prochainement. Les deux pays doivent également tenir une réunion de la commission économique conjointe au mois de septembre.
Mevlut Cavusoglu a toutefois déclaré qu'Ankara continuerait à soutenir la cause palestinienne.
«Malgré le nouveau chapitre des relations, Israël et la Turquie ont toujours des divergences d'opinion sur des questions politiques clés, notamment sur les relations israélo-palestiniennes et sur la Méditerranée orientale», a déclaré M. Goren.
«Ces différences ne disparaîtront pas, mais Israël et la Turquie sont conscients de la nécessité de faire preuve de sensibilité dans leur manière de les aborder et de mettre en place des mécanismes bilatéraux pour s'engager régulièrement sur ces questions», a ajouté M. Goren.
«Si Israël et la Turquie peuvent, d'une manière ou d'une autre, se soutenir mutuellement sur la voie de la résolution des conflits avec des pays tiers (par exemple, la Turquie avec l'Égypte, Israël avec les Palestiniens), ce sera un avantage majeur du nouveau chapitre de ces liens.»
Alors que les relations bilatérales évoluent dans une trajectoire positive depuis la visite du président israélien, Isaac Herzog, à Ankara, Selin Nasi, représentante londonienne de l’Ankara Policy Center et chercheuse respectée sur les relations turco-israéliennes, a souligné le timing de l'échange d'émissaires.
«La partie israélienne a pris son temps avant de comprendre qu’Ankara était sincère dans ses efforts de rapprochement», a-t-elle confié à Arab News.
La «réponse calme et mesurée d'Ankara face aux tensions à Jérusalem et à Gaza au cours des deux derniers mois et sa pleine coopération avec les services de renseignement israéliens contre les complots iraniens qui visaient des citoyens israéliens en Turquie ont apparemment rassuré les inquiétudes d'Israël», a-t-elle ajouté.
Mme Nasi estime que l'échange d'ambassadeurs montre la volonté de la Turquie et d'Israël de donner un cadre formel au processus de normalisation ainsi que leur volonté de passer à la phase suivante.
«Compte tenu des élections à venir en Israël en novembre, la normalisation des liens diplomatiques est susceptible de constituer un bouclier contre l'ingérence dans la politique intérieure», a-t-elle précisé.
Bien que la Turquie et Israël aient réussi à tourner une nouvelle page de leurs relations bilatérales, Mme Nasi pense qu'il est tout aussi important de voir ce qu'ils vont écrire dans ce nouveau chapitre.
«Les deux pays ont beaucoup à gagner en développant leur coopération à un moment où les États-Unis déplacent leur attention et leur énergie vers la région du Pacifique et où l'Iran est sur le point de devenir une puissance nucléaire», a-t-elle fait savoir.
«D'autre part, l'invasion russe de l'Ukraine a remis la sécurité énergétique au centre des préoccupations. Elle a ravivé l'espoir que le projet de gazoduc qui transporterait le gaz naturel israélien via la Turquie pourrait finalement se concrétiser», a-t-elle poursuivi. «Bien la question chypriote soit irrésolue, ce qui reste un obstacle de taille, tout dépend du rétablissement de la confiance politique entre les parties. Nous pourrions donc constater quelques ouvertures à l'avenir.»
M. Goren pense qu'une relance du dialogue stratégique israélo-turc et la reprise de contacts réguliers à haut niveau aideront également les pays à atténuer les préjugés mutuels – notamment, par exemple, les liens d'Israël avec les Kurdes et les liens de la Turquie avec l'Iran – ainsi qu’à éviter les écarts d'attentes.
«Israël et la Turquie doivent s'assurer que cette fois, contrairement à ce qui s'est passé au cours de la décennie précédente, le renforcement de leurs liens sera durable», a déclaré M. Goren.
L'échange d'ambassadeurs a également été salué par les États-Unis.
«L'annonce faite aujourd'hui selon laquelle Israël et la Turquie rétablissent pleinement leurs relations diplomatiques apportera davantage de sécurité, de stabilité et de prospérité à leurs peuples ainsi qu'à la région», a écrit sur Twitter Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale à la Maison Blanche.
Mme Nasi a également souligné que les relations de la Turquie avec Israël avaient «toujours constitué un élément de ses relations avec l'Occident et avec les États-Unis en particulier». Dans le contexte de la guerre en cours en Ukraine, Ankara s'est frayé un chemin avec la Russie. »
Selon Mme Nasi, «la normalisation des liens avec Israël peut contribuer à envoyer un message au Congrès américain, dont l'avis favorable et le soutien à la modernisation des F-16 sont précieux».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com