WASHINGTON: Les Etats-Unis ont décidé de vendre des chasseurs furtifs de dernière génération F-35 aux Emirats arabes unis après la normalisation des relations entre ces derniers et Israël, un projet qui change cependant l'équilibre des forces dans une région instable, ont prévenu jeudi des élus américains.
La décision de vendre des F-35 aux Emirats, qui souhaitaient les acquérir depuis plusieurs années, a été annoncée de façon informelle aux élus des commissions des Affaires étrangères de la Chambre des représentants et du Sénat.
Le département d'Etat, qui annonce habituellement les ventes d'armes à des pays étrangers, n'a pas démenti, soulignant qu'elles n'étaient annoncées qu'une fois formellement notifiées au Congrès.
Selon un assistant parlementaire ayant requis l'anonymat, Abou Dhabi souhaite acquérir 50 chasseurs F-35 d'une valeur estimée à 10,4 milliards de dollars.
L'acquisition par les Emirats de "cette technologie modifiera de façon significative l'équilibre des forces dans le Golfe et affectera l'avantage militaire d'Israël", principal allié de Washington dans la région, s'est inquiété l'élu démocrate Eliot Engel.
"Se précipiter pour vendre ces appareils n'est dans l'intérêt de personne", a ajouté M. Engel, alors que le Congrès, où les démocrates contrôlent la chambre des Représentants et pourraient devenir majoritaires au Sénat, peut bloquer cette vente.
Le sénateur démocrate Bob Menendez a rappelé pour sa part que "le Congrès a toute autorité sur la vente d'armes aux pays étrangers". "Nous ne renoncerons pas à nos responsabilités", a-t-il prévenu. "Affirmer qu'Israël va maintenir sa supériorité tout en offrant à Abou Dhabi le même nombre qu'Israël de ces avions furtifs sophistiqués, n'a aucun sens", a-t-il ajouté.
Cette annonce intervient alors que le ministre américain de la Défense Mark Esper effectuait jeudi une courte visite à Tel-Aviv pour de nouvelles discussions sur "l'avantage militaire qualitatif" d'Israël dans la région.
Course aux armements ?
La semaine dernière, Israël a dit qu'il ne s'opposerait pas à ce que les Etats-Unis vendent des F-35 aux Emirats, après avoir reçu des assurances de M. Esper.
Selon la revue spécialisée Breaking Defense, Israël aurait obtenu la possibilité d'avoir accès à des F-35 supplémentaires, plus avancés que ceux que recevront les Emirats, des avions V-22 "Osprey" à décollage et atterrissage vertical et des avions-ravitailleurs KC-46 de Boeing dont l'armée américaine vient de recevoir les tout premiers exemplaires, avec plusieurs années de retard.
Historiquement, Israël s'oppose à la vente de F-35 aux autres pays du Moyen-Orient, y compris à la Jordanie et à l'Egypte (pays avec lesquels il a signé des accords de paix), car il veut maintenir sa supériorité technologique.
C'est la politique de l'"avantage militaire qualitatif", appliquée depuis les années 1960 par les Etats-Unis, qui l'ont même gravée dans la loi.
Mais la décision des Emirats de normaliser leurs relations avec Israël, annoncée le 15 septembre en grande pompe à la Maison Blanche, était étroitement liée à la possibilité pour Abou Dhabi d'acquérir des F-35.
M. Engel a prévenu que la normalisation avec Israël risquait de provoquer une course aux armements dans la région, notamment si d'autres alliés arabes des Etats-Unis demandent eux aussi à acquérir des F-35.
Le Qatar et l'Arabie Saoudite ont notamment exprimé de l'intérêt pour cet avion.
Pour le lieutenant-colonel Christine McVann, du Washington Institute, la vente de chasseurs F-35 aux Emirats pourrait en fait bénéficier aux Etats-Unis à l'heure où ils veulent se désengager progressivement du Moyen-Orient pour se focaliser sur la "concurrence stratégique" avec la Chine et la Russie.
Le F-35, qui est un avion furtif, difficilement détectable par les radars, "renforcerait nettement les capacités de l'armée de l'air émiratie" notamment face à l'Iran, ennemi commun des Etats-Unis, d'Israël et des Emirats, selon cette experte militaire.
Cette transaction pourrait aussi empêcher la Chine et la Russie de remplir le vide que laisserait un désengagement américain du Moyen-Orient et de vendre leurs propres avions aux pays du Golfe, ajoute-t-elle.